Voir:
http://izvestia.ru/news/544445
http://www.vedomosti.ru/finance/news/5922521/deloitte_mozhet_kupit_monitor_group
http://www.examiner.com/article/monitor-group-consulting-firm-files-for-bankruptcy-wake-of-libya-scandal
http://www.egraduate.ru/Companies.html?ArtId=6f0f2938-9606-4403-b37e-c327263c0186
http://www.monitor.com/
L'idée, attribuée à Medvedev, du Gouvernement ouvert, cette structure institutionnellement surprenante, devant assurer le lien entre des "experts" et le Gouvernement, et constituée essentiellement de libéraux à la limite de l'ultra libéralisme, n'est pas, en fait, l'idée de Medvedev, mais sa conception a été forgée par une compagnie américaine de consulting stratégique, The Monitor Group Company, comme le révèle Izvestia.
Avant de voir le rôle joué par cette compagnie en Russie, il est intéressant de revenir rapidement sur son histoire. Elle a été fondée en 1983 par un groupe de professeurs de la Harvard Business School, notamment les frêres Fuller et M. Porter. Leur professionnalisme est reconnu et leur réputation se développe, jusqu'au scandale Lybien. En 2006, M. Porter conclue un contrat avec Kadhafi. Ce contrat, ambigü, va causer des problèmes à la compagnie aux Etats Unis. Une partie du contrat concerne la diffusion des valeurs démocratiques américaines, avec visites d'experts américains très bien financées. Une autre partie du contrat concerne l'amélioration de l'image de Kadhafi sur la scène internationale et le lobbying des intérêts libyens aux Etats Unis. Quand l'opposition libyenne dénonce cette partie plus discrète du contrat, The Monitor Group Company se fait attaqué car il doit impérativement être enregistré aux USA comme agent étranger, ce qu'il fait alors. Son activité sur le projet de modernisation de la Lybie est financé à hauteur de 250 000 dollars par mois jusqu'en 2008. Sa situation financière semble se dégrader par la suite et, finalement, elle se déclare en banqueroute fin 2012 et fusionne avec le groupe Deloitte.
The Monitor Group Company est implanté sur tous les continents. Son activité en Russie date de 1996, pourtant elle prend son essort après 2004. A ce jour, elle a réalisé plus de 120 projets juste en Russie. Celui qui fait du bruit aujourd'hui concerne le Gouvernement ouvert.
Lorsque par oukase du Président Medvedev, sachant qu'il ne serait plus Président, fut mis en place le groupe de travail sur le Gouvernement ouvert, tout de suite des membres de The Monitor Group Company furent associés. Il faut dire que Medvedev connait très bien les représentants de ce groupe américain, puisque M. Fuller est entré dans le Conseil stratégique du projet chéri de Medvedev, Skolkovo. Un autre représentant, A. Tolkatchev, pour sa part, après que la compagnie ait largement "aidé" à formuler la conception du Gouvernement ouvert, y a lui-même trouvé sa place dans le groupe d'experts. Donc le consulting se poursuit de manière pérenne. Est-ce encore du consulting?
Mais le travail de cette compagnie ne s'est pas arrêté là. Une fois la conception adoptée, ils ont "aidé" le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la santé à intégrer la conception du "ministère ouvert", et ce jusqu'à décembre 2012.
La réaction des analystes est clivée, comme d'habitude, en fonction de leur orientation politique. Pour les plus libéraux, il n'y a rien à dire. Le recours à des experts étrangers est une bonne chose. Puisque a priori de toute manière c'est toujours une bonne chose. Pour les autres, cette situation est une bombe à retardement.
Et la question qui se pose est particulièrement complexe. Il est intéressant, tout d'abord, que le journal Vedomosti, soutenu par The Wall Street Journal et The Financial Times, consacre en novembre 2012 tout un article à la banqueroute de cette compagnie et à son rachat, alors éventuel, par le groupe Deloitte, sans préciser son implication dans le Gouvernement ouvert de Medvedev. Mais ils restent flouent sur son activité en Russie et précisent simplement que cette compagnie a des représentations dans 16 pays, notamment la Russie. Pourquoi ce silence sur un aspect aussi important du développement de la politique russe? Ensuite, il y a une différence entre consulter et être intégré dans la détermination de la politique stratégique d'un pays. En l'occurence, cette compagnie américaine a pu placer ses membres à des postes d'influence politique. Et c'est à ce niveau que la question de la bombe à retardement se pose et que prend fin le consulting. Puisque la question se pose toujours dans ces cas-là: quels intérêts sont défendus? quels intérêts sont mis en avant?
Enfin, d'un point de vue institutionnel, le lobbying autour du Gouvernement ouvert reste dans la logique d'une déformation des institutions. Il s'agit toujours de cette manie de mettre en place des institutions parallèles qui, non seulement ne sont pas efficaces finalement pour régler les problèmes concrets, mais parasitent le fonctionnement des institutions "normales". Au lieu de travailler sur le renforcement de l'efficacité des institutions, Medvedev a pour habitude de créer des jouets para-institutionnels qui favorisent le soft power, sans toutefois en maîtriser le fonctionnement, ce qui est particulièrement dangereux. C'est cela aussi la conception institutionnelle "libérale" de Medvedev.