Il est des jours comme ça où la vie politique s'emballe, s'éclaircie ... et pourtant rien ne change. Hier fut une de ces journées. Interview marathon de V. Poutine, intervenant parfois en Premier ministre, parfois en candidat aux présidentielles. Entrée officielle de M. Prokhorov dans la course présidentielle, dont l'indépendance fait un peu grincer les dents ... mais manifestement pas au pouvoir. Et l'absence remarquable de Medvedev qui ne semble plus faire partie du tandem.
Poutine a été certes bien préparé sur la question, au combien brûlante, des manifestations. Mais s'il a réagi pondéremment dans sa première phrase préparée en louant l'activisme de la jeunesse actuelle, très vite il a dérapé. A peine sous-entendant que les étudiants étaient payés, il fallait donc bien qu'ils fassent ce pour quoi on les avait payé. Oubliant manifestement que dans le mouvement se trouvaient presque tous les représentants de la classe moyenne, les petits entrepreneurs qui en peuvent développer leur affaire à cause de la bureaucratie corrompue et des prêts impossibles à obtenir, les médecins qui voient s'effondrer le système de la médecine publique en raison d'une mauvaise gestion, d'une dégradation du professionnalisme, des files d'attente impossibles à résorber par manque de moyens, des jeunes qui s'inquiètent pour leur avenir ... Ce mouvement dirigé contre le pouvoir, n'est pas qu'un mouvement politique financé par l'Oncle Sam, comme l'affirme le Premier ministre, mais un mouvement populaire qui ne veut plus vivre comme ça plus longtemps, qui est fatigué d'attendre, fatigué de vaines promesses que personne ne se donne la peine de réellement mettre en oeuvre.
Et dans l'absence politique créée par ce mouvement, tous les chefs de file de l'opposition non systémique veulent récupérer un mouvement que, heureusement pour l'instant, ils ne maîtrisent pas. Ils veulent récupérer cette vague populaire pour enfin atteindre la popularité qu'ils n'ont pas.
Sur cet entre-fait, arrive à point nommé ... Prokhorov. Libéral, oligarque, développant un discours socialisant qui ne convaint pas encore. Très proche du pouvoir, comme tous les oligarques, c'est quand même une condition fondamentale de leur existence. Tout auréolé de son échec à Pravoe delo, qu'il a pu monté en opposition au pouvoir et en marque d'indépendance.
Et là, la conférence de presse de Poutine est éclairante: il a le soutien du pouvoir. Si Poutine, avec son humour très particulier, n'est pas allé jusqu'à lui souhaiter le succès, il a déclaré que ce sera un adversaire de qualité. Donc Prokhorov est "autorisé" à participé à la farce électorale du printemps. Mieux, il est même pressenti pour récupérer cette montée populaire.
Toutefois, le candidat Prokhorov, tout neuf en politique, ce qui le sauve, est certainement un excellent homme d'affaire, mais n'a pas encore la carrure d'un politicien ... ni d'un orateur. Ce n'est pas grave pour participer à des élections en Russie ... mais ce n'est pas suffisant pour réellement récupérer le mouvement populaire, qui se retrouve beaucoup plus dans des personnes comme Navalny - baptisé du sceau de la réelle opposition avec ses 15 jours d'arrestation "administrative" - ou Iachine.
Et les positions de Poutine et de Prokhorov ne sont pas si éloignées l'une de l'autre sur certains aspects de la vie politique qui intéressent une partie de la société, la différence n'est qu'une question de degré.
Sur la question de la libération de Khodorkovsky, Prokhorov rappelle que les décisions de justice, quelles qu'elles soient, doivent être appliquées. Poutine affirmait que la place des voleurs était en prison. Prokhorov affirme que la libération anticipée de Khodorkovsky est fondée en droit et qu'il pourrait le gracier. Poutine estime que si Khodorkovsky en fait la demande, il peut l'examiner.
Sur la question de l'élection des gouverneurs, Poutine s'est un peu emmêlé les pinceaux dans un schéma compliqué qui mèle élections directes locales, mais avec un "filtre présidentiel" qui proposerait les candidatures afin que les gentils électeurs puissent "choisir". De même pour les membres du Conseil de la Fédération - la Chambre haute du Parlement - qui pourraient être élus après un "filtre présidentiel". Il faut en effet faire attention à la montée du séparatisme, de l'extrémisme, du banditisme et autres réjouissances dans les régions .... Prokhorov se prononce également en faveur des élections directes, sans toutefois parler de filtre présidentiel.
Et Medvedev dans tout ça? Où est Medvedev? Pas une seule fois, Poutine ne l'a mentionné. Que se passe-t-il dans notre tandem? Alors, heureusement, depuis le sommet UE-Russie, une journaliste lui a demandé de se prononcer sur la position de V. Poutine quant à l'élection des gouverneurs. Et il a enfin pu rappeler qu'il était encore là et qu'il participait activement à la préparation de l'avenir de la Russie, d'autant plus que les mots prononcés par Poutine ... résultaient d'une conversation qu'ils avaient eu tous les deux quelques jours avant. Bref, il n'est pas encore parti ... pas tout à fait.
En fait rien n'a changé après cette mémorable journée politique d'hier, qui a monopolisé l'écran de télévision presque toute la journée. On sait que Poutine, malgrè le masque compréhensif, ne supporte pas ces manifestants qui remettent en cause sa sacrosainte autorité. Mais on le savait avant. On sait que Prokhorov a le soutien du pouvoir. Mais on s'en doutait avant. On sait que Medvedev est vraiment sortant. Et on ne sait toujous pas jusqu'à quel point.