Le discours sur l'avenir du pays produit par les dirigeants russes devient de plus en plus difficile à suivre, tant les contradictions essentielles se multipllient. S'agit-il de l'existence réelle de deux clans au pouvoir, pour être simpliste on dira le clan Medvedev et le clan Poutine, ou y aurait-il d'autres possibilités d'interprétation?
V. Poutine au Club Valdai parle de la Nation, de l'unité nationale, de la souveraineté de l'Etat russe et de ses implications. Quelques jours plus tard, D. Medvedev à Sotchi pour le Forum international sur l'investissement fait tout un discours sur la nécessité pour la Russie de tirer avantage de sa situation. Autrement dit, le chômage étant faible, il faut maintenant modifier radicalement la politique du pays pour relancer la concurrence. Il s'agit de ne plus avoir peur du chômage, donc de pouvoir se débarrasser de tous les emplois improductifs. Les gens doivent comprendre que les temps changent, ils vont devoir se reformer, changer d'entreprise, de lieu de travail, voire de région. Telles sont les nouvelles règles du jeu.
Deux discours antinomiques s'il en est. D'une part, la construction d'une Nation unie lorsque le système politique reste sous pression de contestations diverses et variées a besoin de s'appuyer sur un socle social uni, d'écarter tout risque de mouvements sociaux ou de crise sociale. Or, le "dégraissage" annoncé par Medvedev va entraîner une montée du chômage, en l'absence de réelles prestations sociales compensatoires, et provoque au mieux un risque de destabilistion psychologique, au pire une véritable crise sociale. Car les emplois visés ne sont pas ceux qui demandent d'avoir une haute qualification , donc les personnes visées vont avoir de sérieuses difficultés à retrouver un emploi, sans oublier que leur âge ne leur permettra pas forcément de se requalifier et que leur situation familiale (vues les dimensions de la Russie) peut bloquer leur mobilité géographique.
L'on peut se demander pourquoi Medvedev après le disours de Poutine qui redonnait espoir en une Russie forte, a ressenti le besoin d'écrire un article présentant ses vues dérégulatrices et d'appuyer un discours, salué par les milieux financiers, cassant l'effet produit antérieurement.
Il est possible d'envisager l'existence de deux clans qui s'affrontent au pouvoir. Dans ce cas, de toute manière, ni l'un ni l'autre ne se réalisera vraiment, car leurs forces s'annulent mutuellement. Mais est-ce la seule explication? Non.
Il est également possible d'imaginer que cette pluralité politique interne aux organes de pouvoir est voulue, elle serait une manière spécifique d'appréhender le pluralisme inhérent à tout système démocratique. Pour autant, il s'agirait alors d'une déformation du système démocratique qui en conséquence affaiblie le fonctionnement de l'Etat.
Mais il serait enfin possible de considérer cette approche d'un autre point de vue. Très souvent, et pas uniquement en Russie, la chute de l'Union soviétique a été expliquée comme étant la résultante de l'absence de réforme de l'économie. Autrement dit, il aurait fallu tout d'abord libéraliser l'économie et ensuite seulement libéraliser le politique pour ne pas perdre l'Union soviétique. Dans le même ordre d'idée, les défenseurs de cette argumentation s'appuient le modèle chinois. Pourtant, plusieurs critiques peuvent être opposées à cette vision du monde. La Russie d'aujourd'hui n'est, politiquement, comparable ni à l'Union soviétique, ni à la Chine. Son système politique est déjà ouvert, libéralisé, donc la critique existe et elle s'exprime ouvertement. Il ne s'agit pas d'un monolythe politique qui ouvre les vannes de l'argent étranger.
Or, il est fort possible que les dirigeants russes soient restés trop marqués par les erreurs de l'Union soviétique et qu'ils veulent appliquer aujourd'hui des recettes qui étaient valables, peut être, hier, mais qui en tout cas sont périmées et donc dangereuses dans le contexte actuel.
Quoi qu'il en soi, il est urgent de clarifier le discours politique. Au minimum pour renforcer l'efficacité de l'Etat. Sans oublier qu'à mener une politique portée également par les partis comme Iabloko, SPS ou autres mouvances libérales, les électeurs finiront en toute logique par voter pour les représentants de ces partis, aujourd'hui formellement dans l'opposition, en tout cas partis qui ne sont pas au pouvoir.