Hier, la Cour constitutionnelle a rendu sa décision concernant la question de la constitutionnalité de la loi tant contestée sur les manifestations, prise dans l'urgence après les dérapages sur Bolotnaya. Sans reconnaître la loi inconstitutionnelle en totalité, la Cour a à ce point développé les réserves d'interprétation, qu'elle l'a vidée de l'intention du législateur, annulant certaines dispositions et les remplaçant par ses propres recommandations. Recommandations que la Douma est obligée d'intégrer dans le texte de loi prochainement. Autrement dit, sous couverture d'analyse, la Cour a réécrit la loi.
Ainsi, le montant des amendes doit être revu à la baisse, surtout en ce qui concerne le minimum. La Cour autorise les juridictions, en attendant les modifications législatives, de diminuer autant qu'elles le sentent nécessaires le montant des amendes, voire de le réduire à néant dans certains cas particuliers.
De la même manière, la responsabilité des organisateurs ne pourra être objective, c'est-à-dire découler directement le l'existence d'un trouble à l'ordre public ou d'un dépassement de l'accord conclu avec les autorités sur la manifestation. Leur responsabilité doit reposer sur l'existence d'une faute, dont la charge de la preuve incombe bien sûr à l'accusation. De plus, il faut également envisager la responsabilité des forces de l'ordre si elles n'ont pas aider les organisateurs à mettre fin aux troubles.
En ce qui concerne les "gay-parcs", espace spécifique prévu pour les manifestations, la Cour reconnaît leur légalité s'ils sont plus nombreux. Chaque quartier de chaque ville doit au moins en prévoir un, ce qui fait en moyenne 111 à Saint Petersbourg et 146 à Moscou. Par cette interprétation, la Cour a vidé de son sens la norme. Il sera certainement plus facile pour les municipalités de négocier au coup par coup, que de prévoir un parc dans chaque quartier.
La Cour conteste également la validité de la sanction alternative de travail d'intérêt général, qui, selon elle, pourrait être compris comme une sanction politique pour l'activité d'individus dans le cadre de la société civile. La position est toutefois intéressante. Une amende ne peut être reconnue comme une "sanction politique", puisqu'elle se pait et l'on continue, mais un travail d'intérêt général si. Et la Cour distingue alors selon les types de préjudices causés. Ainsi, il serait toutefois possible de condamner un manifestant à un travail d'intérêt général, s'il porte un dommage à la santé de quelqu'un ou à des biens. Dans ce cas, ce n'est pas politique.
En revanche, la Cour constitutionnelle a maintenu certaines dispositions de fond, notamment l'obligation de l'accord des autorités sur la date, le lieu, l'heure et le but de la manifestation. Mais en se fondant sur la jurisprudence de la CEDH, elle rappelle la nécessité de proposer des alternatives.
Sur la procédure législative, la Cour reconnaît que le passage en force de la loi malgrè l'obstruction parlementaire menée par les députés d'opposition est à la marge de la légalité, toutefois elle ne va pas jusqu'à annuler la loi pour violation de procédure. En revanche, elle recommande chaudement au législateur de prévoir une procédure d'urgence et une procédure permettant de surmonter légalement l'obstruction parlementaire.
La question qui se pose ici ne concerne pas le fond de la décision, qui corrige les excès et les approximations du législteur. Mais en annulant des dispositions et en indiquant très concrètement au législateur ce qu'il doit faire, la Cour se substitue au Parlement. Est-ce là son rôle et en a-t-elle la légitimité? Autre aspect. En permettant aux juges de contrevenir à la loi en se fondant sur sa décision, quand la Russie n'est pas un pays de précédent judiciaire mais un pays de droit écrit, la Cour ne dépasse-t-elle pas ses compétences? Ces questions restent ouvertes.