E. Macron a commencé sa campagne en fossoyeur de l'Etat français, il la termine en monarque républicain. Pourtant, l'on ne peut pas dire que la fonction l'ait rattrapée, ce serait plutôt les nécessités du moment. Un étrange virage qui met le clan néolibéral face à une alternative délicate: impasse ou imposture.
E. Macron se trouve confronté à l'impasse logique d'une gouvernance néolibérale: pour prendre le pouvoir, il faut acquérir le seul instrument qui lui permette d'être absolu - l'Etat. Mais pour aboutir, ses idées nécessitent la destruction de l'Etat. Or, pour les mettre en oeuvre, il faut renforcer l'Etat. Soit le pouvoir, soit les idées, le clan néolibéral est dans l'impasse.
La campagne de E. Macron avait démarré sur toute une série de dérapages, qui n'en étaient pas, mais reflétaient le fond de la pensée de ce mouvement: pas de culture française, ouvrons toutes les frontières qui ne sont que le fruit du passé, négation du passé seul l'instant compte, dérégulation et désengagement de l'Etat pour un marché glorieux et victorieux.
En cours de campagne, un virage a été pris, à tel point que lors du dernier débat, l'on n'entend plus rien de tout cela, mais au contraire, la France dite éternelle serait de retour. Et finalement, le sacre du Louvre confirme cette impression. Tout comme la longue liste de nomination de conseillers énarques. L'ENA étant l'Ecole de l'Etat.
Le clou est la nomination du Premier ministre: les déclarations du 8 mars autour de la nomination d'une femme sont pieusement oubliées, le réalisme l'emporte sur la communication - car il va bien falloir gouverner.
Et ceux qui pensaient trouver du Hollande en pire, sont quelque peu surpris. Il y a plutôt le sentiment - plus ou moins trompeur - d'un retour de la vieille garde, mais l'autre, celle de l'Etat.
Pour gouverner, E. Macron a besoin à l'intérieur de mettre à genoux le système politique. Car la véritable révolution qu'il propose est la fin du politique. En ce sens, son Premier ministre, E. Philippe, est la personne idéale, venant des socialistes, parti vers les républicains, soutenant Juppé, trahissant Fillon, passant du public au privé avec tous les avantages du clientélisme. L'image caricaturale de la déchéance de la politique française.
Mais pourquoi ce changement de cap? Real Politik oblige.
Le peuple veut de l'Etat et un homme fort. La voie populaire peut être ignorée, lorsque le contexte est favorable, comme lors du référendum grec par exemple. Mais les pays-clés du néolibéralisme, à savoir les Etats Unis et la Grande Bretagne, sont sur une voie dissidente, parfois incertaine. Le Brexit n'aurait pas eu trop d'effets politiques, si Trump n'avait pas été élu. C'est pourquoi aux Etats Unis, il y a eu hésitation à lancer un autre candidat au nom des Républicains, à faire voter différemment les Grands électeurs, mais finalement, dénier la Constitution américaine aurait été la mise à mort du pays qui n'a aucun recul historique ni politique. Le risque n' a pas été pris. Le combat s'est déplacé, maintenant il faut construire l'impeachment. Mais en attendant, l'Allemagne se sent bien seule avec sa passation de pouvoir faite par Obama, surtout si un Fillon débarque en France. La stratégie à court terme évolue.
En France, avec l'échec de Clinton aux Etats Unis et la défaite de Juppé aux primaires, il a bien fallu activer le plan bis Macron. La France n'est pas les Etats Unis, les primaires n'y sont pas sacrées -loin de là - et son histoire constitutionnelle est suffisamment riche pour qu'elle survive à ce coup d'état mou, largement aidé par la presse et la justice. L'idéal néolibéral est en difficulté, il faut bien alors repousser le calendrier et écouter le peuple. Il veut un chef, on lui donne l'image d'un chef. La nuance est de taille, mais elle est largement digérée par la population - en tout cas sur du court terme. L'image française est dépoussiérée pour l'occasion. Il faut bien savoir perdre une bataille pour gagner la guerre.
Pour le moyen terme, il y a la mise à mort du système politique, avec la dite recomposition des forces, qui tend à une fusion de la droite et de la gauche autour de ce qu'il y a de "mieux" en elles. Ce qui présente le grand avantage de rendre ce produit recomposé absolument incontestable. Pour aboutir finalement à ce que la France n'avait pas encore testé: le Parti unique, celui du Bien et de la Vérité.
Un système politique aux ordres, un Etat devant être un minimum restauré, pour donner le corps devant accoucher du triomphe néolibéral. En attendant, l'on se retrouve avec une version soft, caricaturale: gay friendly, migrant friendly, open society etc. Désolée, tous ces slogans sont effectivement anglo-saxons. L'homme est réduit à un individu catégorisé, étiqueté, consommateur de services étatiques calibrés. Il n'est plus un aminal politique, puisqu'il n'existe qu'une seule voie du Bien, le reste est hors système.
Pour autant, il ne faut pas se tromper sur ce soi-disant retour de l'Etat, Macron n'est ni étatiste ni souverainiste. C'était la différence fondamentale avec F. Fillon, qu'il a immédiatement trahit en appelant à voter Macron. Toutefois, d'un côté, l'Etat est la finalité, le cadre devant permettre à la Nation et à la société d'exister et de se développer. De l'autre côté, l'Etat est un instrument mis au service de la "refondation" de l'UE avec la restauration, comme au bon vieux temps, du couple franco-allemand. Le fanatisme européaniste des pays de l'Est est certes très mignon et parfois même utile, mais il ne permet pas de faire l'UE. L'espace vital européen s'était très fortement réduit, il a fallu reprendre la France.
C'est dans ce contexte que l'on analysera la visite si pressée de Macron en Allemagne: il faut rétablir la gouvernance commune sur l'espace commun, les co-présidents se rencontrent. Pour la petite histoire, l'on va même réanimer les classes bilangues allemand.
Finalement, Macron a le choix entre l'impasse ou l'imposture. Soit il ne rétablit pas les instruments étatiques nécessaires à la mise en oeuvre de l'idéologie néolibérale - en absence du centre idéologique gouvernant aux Etats Unis - et c'est l'impasse. Soit il rétablit les instruments étatiques de gouvernance pour la mise en oeuvre des réformes nélibérales et c'est l'imposture, car contrairement à l'idéologie qu'il défend il réanime son plus fidèle ennemi; l'Etat. Les bolchéviques ont déjà vécu ce dilemme et ont perdu la bataille avec la contre-révolution de Staline, pourtant dans un contexte intérieur et géopolitique beaucoup plus favorable. Nos néo-bolchéviques vont-ils - et peuvent-ils - en tirer les leçons? Ou finalement n'ont-ils d'autres choix?
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