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jeudi 19 juillet 2018

Les Pussy Riot et les fermiers moldaves: quand la CEDH fait des droits de l'homme une idéologie



La Cour européenne des droits de l'homme vient de rendre deux arrêts très significatifs à l'égard de la Russie. L'un au sujet de la "liberté d'expression" des Pussy Riot, violant la sacralité d'une cathédrale et l'autre sur la responsabilité de la Russie au sujet du problème de la protection du droit de propriété que la Moldavie ne règle pas avec la Transnistrie, Russie jugée responsable, car elle apporte une aide vitale à cette république. La CEDH oubliant que ce critère peut se retourner contre l'UE. Enfin, si la question se réglait sur le terrain juridique, dans le respect de la souveraineté des Etats. S'il s'agissait de droit et non pas d'idéologie.


Les arrêts de la CEDH ont une portée non seulement juridique, mais aussi politique. Ils ne sont pas neutres. Tout d'abord, parce que la plus grande majorité des recours déposés devant la Cour ne débouchera jamais sur une affaire. Donc, la CEDH opère bien un choix dans les affaires qu'elle examine. Certes, au regard de critères formels (épuisement des voies de recours effectifs internes, délai), mais l'affaire doit avoir aussi une certaine importance. Et ici, l'appréciation laisse toute sa place à la subjectivité. 

Cette démarche vient du but affirmé et assumé de la Cour: créer un monde meilleur. Un monde des droits de l'homme. C'est ce qu'affirme par ailleurs l'institution elle-même par la voix de F. Tulkens:
Le but de l’acte de juger est de l’ordre du pratique : « un arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme (« la Cour » ci-après) n’est pas une fin en soi : il est la promesse d’un changement pour l’avenir, le début d’un processus qui doit permettre aux droits et libertés d’entrer dans la voie de l’effectivité ».
En soi, l'idée est bonne. Qui peut être contre les droits de l'homme? Personne. Le problème est de savoir ce que l'on entend par "droits de l'homme", comment se détermine leur signification. Car nous sommes ici dans le cadre du droit international, qui doit donc composer avec la souveraineté des Etats. Lorsque ceux-ci s'engagent dans une institution, qu'ils prennent des obligations, ils doivent savoir quel volume d'obligations ils prennent. Or, celles-ci vont varier en fonction de la signification donnée aux droits reconnus et défendus par la Convention, Convention dont la Cour a l'exclusivité de l'interprétation. Ce qui revient à donner à la CEDH carte blanche pour déterminer la sphère des obligations devant peser sur les Etats, en contradiction avec le fondement du droit international selon lequel la volonté de l'Etat ne peut être présumée. Les nombreux conflits entre la CEDH et les Etats (Italie, Grande-Bretagne, Allemagne ou Russie) viennent de là.

Malheureusement l'on observe une politisation de plus en plus grande de la jurisprudence de la CEDH qui, ouvertement, utilise le droit pour faire passer une nouvelle conception des rapports humains, une nouvelle vision de la société (anticléricale, anti-étatiste, individualiste) et finalement une nouvelle vision de l'homme, stigmatisé dans ses particularismes. En ce sens, la CEDH est non pas un instrument du "droit", mais un vecteur idéologique. Prenons les deux dernières décisions concernant la Russie.

Dans l'affaire des Pussy Riot, la CEDH estime que la Russie a porté atteinte à la liberté d'expression des Pussy Riot, non seulement en les condamnant, mais également en interdisant la diffusion de leur "chanson" sur le net:
Les juridictions internes n’ont toutefois pas expliqué pourquoi il était nécessaire de condamner les requérantes à une peine d’emprisonnement. En particulier, elles n’ont absolument pas étudié les paroles de la chanson « Punk Prayer – Virgin Mary, Drive Putin Away », et ont essentiellement fondé leur condamnation sur le comportement des intéressées, c’est-à-dire sur les vêtements et les cagoules qu’elles avaient portés, sur les mouvements qu’elles avaient faits avec leur corps et sur leur vocabulaire ordurier, sans analyser de quelque manière que ce fût le contexte dans lequel s’était inscrite cette performance. Elles n’ont pas non plus cherché à déterminer si le comportement des requérantes pouvait être interprété comme un appel à la violence ou comme une justification de la violence, de la haine ou de l’intolérance, ce qui aurait constitué la seule raison admissible, en vertu des instruments internationaux, de restreindre le droit des requérantes à la liberté d’expression par le biais d’une sanction pénale. De surcroît, la performance n’a pas perturbé d’office religieux, n’a blessé personne à l’intérieur de la cathédrale et n’a pas non plus porté atteinte aux biens de l’église.
Les paroles, contrairement à ce qu'affirme la CEDH, ont été justement analysées (ici une traduction très épurée de leur vulgarité en russe), ce qui a permis de conclure, en plus de l'entrée dans l'église, à l'atteinte portée aux croyants. Voici la vidéo:



Mais il est vrai que la violation d'une église dans ce monde néobolchévique est à nouveau un acte de bravoure, non un acte condamnable. La décision est bien idéologique: cessez de vous focaliser sur vos églises, revenez aux glorieuses années 30. C'est finalement ce qu'affirme la CEDH, puisqu'en plus "personne n'a été blessé et les biens n'ont pas été détruits". Le matérialisme triomphe. L'âme? Jamais vue.
La condamnation et la peine de prison infligées aux requérantes présentent donc un caractère exceptionnellement sévère au regard des actes des intéressées et ont forcément produit un effet dissuasif sur l’exercice par elles de leur liberté d’expression. La Cour en conclut que la condamnation et la peine infligées aux requérantes n’étaient pas « nécessaires dans une société démocratique » et qu’elles ont emporté violation de l’article 10.
Rappelons, que les Pussy Riot n'en étaient pas à leur premier coup et n'avaient jusque-là pris que des amendes (par exemple, se faire prendre par-derrière dans un musée, c'est aussi de l'art au sens des Pussy Riot). Ce que la CEDH n'envisage pas ... Les sociétés démocratiques, au sens de la CEDH, ne défendent pas ces valeurs. Elles en défendent d'autres. Elles autorisent aussi de faire griller des oeufs sur le feu immortel. A quoi peut-on donc s'attendre?

La deuxième affaire est également, même si différemment, révélatrice cette fois de l'entrée de la CEDH dans le jeu géopolitique direct. Des fermiers moldaves ont perdu l'accès à leurs terres situées en République de Transnistrie, car la République moldave et la Transnistrie n'arrivent pas à réguler leur différend. Il s'agit bien d'un conflit entre la Moldavie et la Transnistrie, ce que reconnaît d'ailleurs la CEDH. Mais, appréciez l'argumentation:
Pour ce qui est de la Russie, la Cour constate qu’elle a apporté à la « RMT » une aide vitale, sur le plan tant militaire que financier, si bien que la « RMT » ne pouvait survivre sans un tel soutien. De ce fait, la Russie a engagé sa responsabilité sur le terrain de la Convention et la violation du droit de propriété des requérants constatée en l’espèce peut lui être attribuée.
Donc, le fait que la Russie apporte une aide, par ailleurs délivrée dans le cadre d'un mandat de l'ONU, la rend responsable des difficultés juridiques sur place. Soit. Rappelons alors, que la Moldavie est la République qui obtient la plus grande part d'aide de l'UE, sans laquelle elle serait déjà depuis longtemps en faillite. Voir le site du ministère français des Affaires étrangères:
En 2009, l’arrivée au pouvoir à Chisinau d’une coalition pro-européenne et le lancement par l’UE du Partenariat oriental ont permis un approfondissement des relations UE/ Moldavie : accord d’association signé le 27 juin 2014 incluant une zone de libre-échange approfondi et complet (entrée en vigueur provisoire le 28 avril 2014, définitive le 1er juillet 2016), ainsi que la libéralisation des visas de court séjour. La Moldavie bénéficie du plus fort taux per capita d’aide européenne de tous les voisins orientaux de l’UE. L’UE est également impliquée dans la résolution du conflit transnistrien. De 2003 à 2012, elle a mis en place des sanctions (restrictions de circulation) contre les principaux dirigeants de la région séparatiste pour les inciter à adopter une attitude plus constructive dans la négociation en format « 5+2 ».
L'UE étant impliquée du côté Moldave à 200%, en l'application des "critères" développés dans cette affaire par la CEDH, il est étonnant qu'elle n'ait pas été mise en cause ... A moins qu'il ne faille replacer l'affaire dans le contexte plus large visant à remettre en cause le mandat de la Russie et la forcer à quitter, et donc abandonner, la Transnistrie, combat qui se renforce ces derniers mois, au niveau de l'ONU et de l'OSCE?

La question qui se pose alors est de savoir quel jeu joue la CEDH? Est-ce réellement là le rôle d'une juridiction internationale?

Finalement, oui. Il est temps de reconnaître que tel est bien son rôle. Etre un instrument du combat idéologique et géopolitique qui se joue. Par ses arrêts, elle aide à modifier les systèmes juridiques nationaux. Or, le droit est cette combinaison de normes par laquelle sont posés la vision de l'Homme dans la société et le rôle de l'Etat. En modifiant le droit, la CEDH modifie les valeurs sociales. C'est son rôle. Elle intervient également dans un contexte international spécifique, elle en est l'un des mécanismes. L'on ne peut pas lui demander une objectivité totale, puisqu'elle est composée de juges, d'hommes et de femmes, qui sont le fruit de leur époque, qu'ils portent. La justice internationale est la justice "des vainqueurs", elle est là pour garantir l'ordre en place.

La question est autre. Pourquoi la Russie, mais pas uniquement elle, continue à jouer sur un terrain qui n'est pas le sien et selon des règles qu'elle ne maîtrise pas, qui évoluent en fonction des besoins conjoncturels et stratégiques? La CEDH a besoin des Etats pour exister, les Etats, eux, n'en ont pas besoin. Ils ont existé avant, ils existeront après. En revanche, en participant à cette farce prétentieuse, ils légitiment un système qui est en lutte idéologique contre eux.  

  
 

4 commentaires:

  1. De même, réalisez une étude économique pro-migrante et mondialiste pro-occidentale, et le prix nobel d'économie vous est assuré. Tout est noyauté, corrompu!

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  2. Je suis tout à fait d'accord avec vous.J'attends avec impatience que la Russie sorte de ces organismes internationaux qui lui sont hostiles, elle n'a rien à gagner en restant, bien au contraire.

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  3. Merci pour cette excellente analyse! Mais les Moldaves ne sont-ils pas majoritairement des roumains? et la Transnistrie n'est-elle pas russe ou pro-russe? Alors pourquoi la Moldavie ne peut-elle pas être intégrée avec la Roumanie et la Transnistrie avec l'Ukraine pro-russe de l'ex-Novorussia?

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  4. Il serait bon de se souvenir à quelle époque et dans quel cadre la Russie a intégré la CEDH... avant d'estimer que la CEDH fait "n'importe quoi". La Russie est entrée au Conseil de l'Europe sans apporter l'intégrité des critères exigés à l'époque. La Cour est sur la même lecture, et il ne faut pas attendre plus d'un système construit sur des valeurs occidentales démocratiques qui ne peuvent tolérer une ingérence. Et il faut faire le dinstigo entre l'influence de l'UE et les moyens financiers (en Transnistrie, par exemple), et le nationalisme russe et les jeux de versements de pensions, de mise à disposition de passeport... que joue Moscou, avec ses troupes sur le terrain, dans les casernes de l'Ex-Urss. Là, on est à la porte de l'ingérence... ou on l'a passé.

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