Il est courant dans les médias occidentaux de parler, d'insister, de pointer, de chercher la censure en Russie. Mais quand elle est là, quand elle apparaît justement où personne ne l'attend, personne n'est la pour la recueillir. Pour en informer le bon citoyen français, qui serait alors tellement rassuré sur l'efficacité de l'autocensure en France. Qui peut ainsi continuer à baigner dans une onde équilibrée d'harmonie.
Alors, quand la censure apparaît en Russie là où on ne veut pas la voir, et bien c'est simple, on en parle pas.
Et pour cause. Il s'agit du refus de la chaîne publique d'information continue Rossya 24 de diffuser le programme du plus que célèbre réalisateur Nikita Mikhalkov, "Bessogon TV". Programme d'auteur que la chaîne a toujours diffusé.
Sauf celui-là. Pourquoi? Pour deux raisons: il montre l'hypocrisie patriotique des milieux néolibéraux qui réellement contrôlent les grands médias en Russie et exige la reconnaissance de l'existence du monde russe et des russes en Russie.
Manifestement, c'en est trop pour une chaîne fédérale. Etatique. Une chaîne "du Kremlin"?
Pour ceux qui comprennent le russe, je ne peux que vous conseiller de voir cet exceptionnel monologue, cette discussion avec soi-même d'un homme à la culture d'un autre temps qui jette un regard perçant sur notre époque, son hypocrisie, ses bassesses et pour autant tout son potentiel.
Pour démontrer l'hypocrisie des grands médias russes, N. Mikhalkov se base sur le traitement de l'information concernant l'Ukraine et la Crimée. Il est difficile de trouver un sujet qui permettent de révéler aussi bien le fond de la pensée des individus. Là, il n'est plus possible de tricher.
Tout a commencé avec les propos d'un journaliste commentateur sportif de la nouvelle chaîne publique Match TV, Alexeï Andronov, qui le 5 novembre, publie un tweet (aujourd'hui nettoyé comme tous ses tweets politiques) dans lequel il dit ( à la minute 4.58 dans l'émission vous voyez le tweet en saisie d'écran):
"Tous ces "Chvonder", cette abomination, cette pourriture, les amis de Novorossia, du Monde russe et autres clochards sont nettoyés d'ici. Allez bouffer votre merde ailleurs."Pour comprendre, Chvonder est un personnage de Boulgakov mis en scène dans un film soviétique devenu culte et incarnant le niveau le plus bas du petit fonctionnaire du pouvoir totalitaire. En voici un extrait:
Autrement dit, ce journaliste d'une chaîne publique insulte les membres du monde russe, les russes, les prenants pour des clochards et de la pourriture, ces hommes du pouvoir totalitaire. La réaction de la direction de la chaîne est à la hauteur de l'évènement. Egalement sur Twitter:
En clair dans le texte: ne perds pas ton temps avec ces imbécilités et ne distrait pas les autres non plus. Regardes Match TV. Du grand Kandelaki, la directrice de la chaîne, tant contestée pour ses capacités professionnelles. Bref, pour elle, les propos de ce journaliste ne prêtent pas à conséquences, ne sont ... qu'un détail.
Comme le souligne Mikhalkov, ressortant une ancienne interview de Kandelaki, sa position est claire et connue depuis longtemps: il n'y a pas de russes en Russie. Le peuple qui vit en Russie est multiethnique, sans russes. Il doit être comme le peuple américain.
Mais Mikhalkov ne s'arrête pas là. Il explique également que de tout cela a parlé le député et journaliste A. Pushkov dans son émission hebdomadaire sur la chaîne TV Centr. Chaîne publique fédérale. Le soir, l'émission est diffusée en entier. Le lendemain, lors de la rediffusion, elle fut censurée par la chaîne: tout cet épisode sur Match TV, Andronov et la pourriture du Monde russe, tout cela a été coupé. Lorsque Mikhalkov téléphone à un des responsables de la chaîne pour en connaître les raisons, la réponse sort singlante de petitesse: c'est délicat. Donc il est acceptable de vomir le Monde russe, mais il est délicat de le défendre.
Un peu plus loin, c'est la soeur de l'oligarque Prokhorov sur la chaîne de son frère, RBK, qui ne comprend pas pourquoi il a fallu annexer ce tas de pierre qu'est la Crimée, alors que l'on pouvait tranquillement continuer à aller y passer ses vacances. Il faut dire que ses talents journalistiques ne lui permettent pas de travailler ailleurs. Parallèlement, on entend un officier de la marine ukrainienne affirmer, dès 2009, l'urgence d'y héberger la flotte américaine et le journaliste vedette Ganapolsky d'en tirer la conclusion logique; il aurait fallu que la Crimée entre dans la fédération US. Non, ce n'est pas une plaisanterie. Ils le disent sérieusement.
Bref, c'est une véritable contagion ces peuples qui n'existent pas, n'ont pas existé, ne sont que le résultat d'hallucinations collectives. Car le référent est affiché: le peuple américain. Un peuple composite, sans racine, un peuple importé. Il faut déraciner l'Europe. Le véritable rêve néolibéral.
Mais tout cela doit encore être caché, donc il faut censurer ce que l'on ne peut assumer. Ce n'est pas acceptable, c'est trop délicat, trop complexe pour l'aborder. Et dans le silence, on voit le discours patriotique censuré par les directions dites libérales des grands médias russes. Et cette émission de Mikhalkov tombe avec le bébé et l'eau du bain. Elle aussi censurée par la chaîne fédérale publique Rossya 24.
Alors que partout l'on crie à la censure du Kremin sur les médias, sans en apporter la preuve, le silence est total chez les confrères européens face à la censure opérée par les directions néolibérales des chaînes russes pour faire passer "le bon" discours. Car en fait, le discours considéré comme "bon" est bien celui du milieu très fermé est particulièrement circonscrit mais très influent des néolibéraux. En Russie aussi. Simplement, ils sont plus ou moins serrés, reprennent plus ou moins du poil de la bête. Osent s'afficher dans tout leur cynisme. Ou pas. Maintenant, ils peuvent. Car chacun se tait.
Et la réponse de Rossya 24 est lapidaire: on respecte le travail de Mikhalkov, mais on ne veut pas diffuser un programme qui pourrait être désobligeant pour des confrères, car on ne veut pas d'une guerre des chaînes.
Et nous avons pu l'apprendre parce que Mikhalkov, à l'inverse de Pushkov, ne s'est pas tu. Car il a cette attitude aristocratique qui parfois dérange, mais octroi une liberté intérieure sans laquelle l'homme n'est qu'un esclave en puissance.
Et heureusement des artistes et journalistes russes haussent la voix, car il n'est plus acceptable dans notre monde d'être censuré pour ses idées, surtout lorsqu'elles sont exprimées dans le respect de l'autre. Sans provocation, sans destruction. Avec goût et culture. Mais il est vrai que la communauté internationale était plus intéressée par les Pussy Riot. A chacun sa culture.
Pour information, la vidéo sur youtube de l'émission censurée a dépassé les 2 millions de vues.
A réfléchir.
La pieuvre de Vladislav Iourievitch Sourkhov...
RépondreSupprimerC'est bon à savoir pour Rossia 24. La censure et l'autocensure sont détestables. Il ne faut pas qu'arrive en Russie ce que nous vivons en France.
RépondreSupprimerMerci à Mikhalkov de défendre les russes et la Russie avec ses mots et sa culture. Avec l'oligarchie, on se croirait revenus au temps de l'aristocratie (dont elle n'a évidemment pas l'élégance) qui déjà crachait sur le peuple reniant jusque sa langue.
Vive tous les pauvres et les clochards généreux du monde.
Toujours ce vieux combat entre les élites et le "petit" peuple ... et cette rengaine que l'herbe est plus verte ailleurs. Un classique de la bourgeoisie.
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