Le 23 avril, la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie vient de prendre une décision sensationnelle: chaque électeur dispose désormais du droit de contester directement en justice le résultat des élections de sa circonscription électorale. Revenons sur la décision.
Les requérants (des membres de la section régionale de l'Oblast de Voronej du parti Spravedlivaya Rossiya, des membres des bureaux de vote, des observateurs et des électeurs de Voronej et de Saint Pétersbourg), ayant pris part aux élections notamment de la Douma, ont contesté les résultats devant les juridctions ordinaires. Et en première instance et en appel, leur recours a été rejeté car le droit des électeurs s'arrête au moment de l'opération de vote. Les possibles violations de la législation lors du décompte des voix ne touchent que les intérêts des candidats et des partis, représentés par leurs organes dirigeants. Les électeurs n'ont donc pas d'intérêt à agir, à la différence des partis politiques qui, eux, ont le droit d'attaquer devant la justice les résultats officiels.
En s'adressant à la Cour constitutionnelle, avec la participation de l'Ombudsman fédéral, leur argumentation reposait sur la contestation de l'interprétation donnée par les juridictions ordinaires qui, selon eux, empêchait les électeurs de pouvoir se défendre contre les falsifications, contre le fait qu'on leur ait "volé" leur voix. Selon l'Ombudsman, l'interprétation retenue par les juridictions va à l'encontre de la libre expression de la volonté populaire, principe défendu par la Constitution.
La Cour constitutionnelle a soutenu la position des requérants. Selon elle, l'acte de vote ne se limite pas à l'expression d'intérêts politiques privés, il participe à la réalisation de la souveraineté populaire. C'est pourquoi, chaque électeur est en droit d'attendre que sa voix soit correctement décomptée et attribuée. L'intérêt général comprend alors de la même manière l'objectivité des résultats et la formation des organes publics. Ainsi, le droit de vote ne peut s'arrêter au moment de l'opération de vote, sans remettre en cause non seulement la valeur constitutionnelle de ce droit, mais également de l'institution des organes de démocratie représentative. Et ici, le principe du secret du vote ne peut être une barrière, puisque la violation de la législation lors du décompte des voix remet en cause et la légitimité des organes publics et le principe de la souveraineté populaire. Donc, l'intérêt de chaque électeur est de pouvoir garantir la réalisation totale de son droit. Ce qui concerne également le droit d'agir en justice, au même titre que les partis politiques. Mais, dans la mesure où la législation ne prévoit pas quelle décision de la commission électorale il est possible d'attaquer, la pratique judiciaire a interprété cette lacune comme un fondement pour rejeter les recours. En ce sens, la législation viole la Constitution.
Le législateur fédérale doit donc préciser le régime du recours par les citoyens des décisions prises par les commissions électorales en ce qui concerne le décompte des voix et l'annonce des résultats. En attendant la modification de la législation en matière électorale, le juge ordinaire n'est pas en droit de rejeter les recours des électeurs concernant le décompte des voix et l'annonce des résultats effectués dans leur circonscrption électorale.
La décision de la Cour constitutionnelle est louable, dans le sens où elle entend garantir un exercice réel non seulement du droit de vote, mais en réalité de la souveraineté populaire, dont le droit de vote n'est qu'un instrument. Toutefois, si la législateur n'encadre pas strictement ce nouveau recours, il est facile de prévoir et l'engorgement des juridictions, et l'inflation des décisions de rejet sur le fond. Ce qui ne va pas aller dans le sens politique sous-entendu par la décision constitutionnelle, à savoir replacer le débat sur la légitimité des élections dans les juridictions et non dans la rue.
Bref, la question se pose sérieusement de savoir si la Cour constitutionnelle ne vient pas d'ouvrir la boîte de Pandorre ...
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