Alors que Kiev annonce la phase finale de l'opération antiterroriste, la défense de Donetsk annonce la formation du premier bataillon de libération de la république indépendante. Kiev annonce la mise en oeuvre rapide de la phase finale, Donetsk donne 24 heures à Kiev pour retirer les forces armées "d'occupation" du territoire de la jeune république indépendante. Il pourrait donc rester 24 heures avant le début d'une guerre civile encore plus meurtrière.
Pendant ce temps, la Russie se tait, et quand elle parle, on aurait préféré qu'elle se taise. Du bout des mots, de manière informelle, la Russie reconnaît que le référendum a eu lieu et qu'une décision populaire a été formulée. Pour autant, elle ne reconnaît pas l'autonomie des deux jeunes républiques. Même si elle la soutient mais sans l'affirmer. L'on pourrait presque penser que tout le sens de la politique russe en ce moment réside dans le non dit.
Jusqu'au moment où le Gouvernement, et derrière lui des députés, estime que finalement seulement des élections présidentielles permettraient de sortir de la crise, que oui ce serait bien si les régions de l'Est organisaient également les élections et au fait en ce qui concerne le gaz on peut toujours négocier si vous nous payer au moins un petit dollar, ou le promettait, allez faites un effort, on ne peut pas être plus gentil que cela - on est déjà à la frontière du ridicule.
Donc, d'un côté, les forces de Donetsk sont prêtes à libérer leur région de la présence militaire ukrainienne. D'un autre côté, la Russie leur demande d'organiser des élections présidentielles dans lesquelles les candidats de l'Est furent largement dissuadés de participer.
Quelle est la politique de la Russie? Elle n'en a pas. En tout cas à long terme, elle n'en a plus sur le sujet. Elle a des impératifs à court terme et des conflits intérieurs.
Les impératifs à court terme sont simples:
- valider la Crimée comme un fait acquis : la Russie l'a gagnée, c'est tout ce qu'elle voulait, le reste l'intéresse peu et elle ne sait pas encore sortir d'une crise.
- faire payer le gaz de n'importe quelle manière - et semblerait-il presque à n'importe quel prix pour ne pas devoir réagir brusquement - toujours la peur de perdre la face et le pré-paiement semble faire encore plus peur à la Russie qu'à l'Ukraine.
- ne pas tomber sous le coup d'une nouvelle guerre froide économique, le prochain stade des sanctions, car la Russie et les russes en général (pas seulement l'élite) ont pris l'habitude de bien vivre, de voyager et ne veulent pas y renoncer.
Les conflits intérieurs sont tout aussi simples:
- Le mythe de la domination sans partage du conservatisme est avant tout un mythe. Un combat acharné, et bien plus violent que dans nos sociétés qui ont rendues les armes, a lieu entre les tenants de deux groupes: les libéraux atlantistes/mondialistes, les libéraux nationaux. Les uns veulent une politique de destructuration et de désengagement de l'Etat au profit de formes mondialisées de gouvernance, les seconds veulent garder l'Etat comme institution de gestion des affaires publiques.
- Il n'y a pas de conflit entre les tenants d'un retour au soviétisme et des libéraux modernisateurs. Plus personne ne veut sérieusement revenir au mode de gestion soviétique. Mais dans le langage courant, afin de destabiliser le discours nationale, les tenants de la gouvernance étatique sont caractérisés comme soviétisant et passéistes, pour sortir cette modalité de gouvernance du champ du possible et de l'acceptable. Et cela ne concerne pas que la Russie, mais dans la plupart des pays d'Europe les partis politiques ne correspondent plus au partage idéologique de la population, ni au positionnement des questions, puisqu'aucun parti ne pourra dire qu'il est atlantiste et donc que son but n'est pas la défense des intérêts de la population nationale, même si cette politique sera menée par la suite sous un autre nom : le libéralisme.
Donc, cette étrange situation autour de l'Ukraine semble traduire le conflit intérieur qui a lieu en Russie entre ces deux forces, quasiment égales. D'une manière assez inattendue, l'évolution de la crise en Russie pourra peut être enfin mettre fin à la cohabitation de fait au sommet de l'Etat russe en faisant finalement émerger un clan. Bien que V. Poutine affirme être le Président de tous les russes, de toutes tendances etc. Refusant donc lui aussi d'assumer un véritable choix de société.
Un jour la Russie devra comprendre qu'elle doit le faire ce choix, ne serait-ce que pour garder un équilibre institutionnel. Soit elle se positionne comme modèle alternatif, comme certains l'affirment et l'espèrent, soit elle est intégrée dans le concert des nations et dans l'économie internationale sans conflit.
Or, la Russie n'est pas prête à faire ce choix, car elle n'a manifestement pas la force intérieure (politique ou intellectuelle) suffisante pour se poser réellement en modèle alternatif complet, pas seulement concernant le mariage homosexuel ou la femme à barbe, mais en créant un modèle théorique alternatif mêlant valeurs et gouvernance. Pour autant, cette volonté est suffisamment forte pour ne pas pouvoir dire qu'elle y a renoncé. D'où, semble-t-il, le flou de sa politique qui oblige même à poser la question de son existence réelle ou d'une (par ailleurs très bonne) gestion de l'évènement.
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