Ayant reçu plusieurs courriers de lecteurs, en privé ou en commentaire, concernant ma publication d'hier, j'ai décidé de mieux expliquer ma position: les mécanismes de diffusion d'informations, concernant le conflit ukrainien, en Europe et en Ukraine elle-même sont toujours les mêmes. Soit il faut taire l'information, soit c'est la faute de la Russie, mais sans donner plus d'explications. Et l'exemple du traitement de l'information des têtes coupées est significatif. Un site ukrainien important reprend l'info diffusée par NTV, accuse les "terroristes" d'avoir eux-mêmes couper des têtes. De qui? Pour en faire quoi? Les envoyer où? Rien. Juste une affirmation. Voici donc ce que cela donne.
Des sites aussi sérieux que NTV, ou Centerkor-ua (les liens sont dans la publication d'hier), après Novorossia, ont diffusé l'information selon laquelle les mères des combattants de Donetsk recevaient les têtes de leurs fils dans des boîtes en bois. Ces hommes ont été fait prisonniers autour de Donetsk, pris vivants. Ils rentrent de cette manière à la maison.
Evidemment je ne suis pas sur place pour voir si les boîtes existent. Mais réfléchissons un peu et voyons comment l'information est traitée.
Tout d'abord, ce sont des sites suffisamment fiables pour que le Parti cummuniste de la Fédération de Russie, parti parlementaire, décide également de publier photo et texte sur sa page officielle ici. Ensuite, sur place, toujours selon une autre source particulièrement sérieuse, Colonnel Cassad, le bruit court dans la région et l'exécution de combattants ayant été fait prisonniers a été, elle, confirmée. Autrement dit, ce qui semble incroyable à quelqu'un tranquillement assis chez lui dans un pays en paix, comme vous et moi, ne semble pas impossible du tout à la population de Donetsk. La frontière du possible et du concevable est ainsi déplacée.
Et pour cause, souvenez-vous de l'histoire de la Madonne de Gorlovka, cette femme massacrée avec son bébé dans les bras lors de l'assaut de la petite ville de Gorlovka par les forces ukrainiennes. A l'époque, j'avais décidé de ne pas publier la photo, dont la véracité aujourd'hui n'est pas en doute.
Qu'y a-t-il de pire? Après cela, de quoi peut-on encore s'étonner?
Enfin, un site ukrainien "anti-propagande russe" a publié un article intéressant accusant NTV de faire passer des actes commis par les terroristes pro-russes sur le dos des ukrainiens. Mais sans rien expliquer. A qui appartiennent ces têtes? Aux combattants ou aux habitants? Et pourquoi ces têtes apparaissent, où ont-elles été envoyées? Silence, car en reconnaissant la véracité de l'existence de ces têtes coupées, le site ukrainien ne peut donner aucune explication logique. On en revient toujours à la même chose, comme à Odessa: ils se sont brûlés, tués, violés eux-mêmes. Ici, ils se sont eux-mêmes coupés la tête. C'est absurde et illogique. Et même ce site ukrainien ne peut parler de montage photo, ou qu'il s'agit de photos de têtes coupées venus d'un autre conflit au Moyen Orient. C'est donc bien dans le Donbass.
Donc que faire? Se taire? Il y a deux positions possibles face à un tel choc: se taire ou prendre le risque de déranger. La plus facile est de se taire, car il faut faire attention à sa réputation et ne pas choquer. Mais les sources citées sont suffisamment fiables pour pouvoir en toute conscience publier sur le sujet.
D'un point de vue politique également la situation est délicate. Chacun parle de paix, à quoi bon maintenant parler des horreurs de la guerre qui continuent? Parce qu'elles existent. Et se taire est une forme de complicité, au minimum morale. Alors que se passe-t-il? Le cessez-le-feu est constamment violé. A tel point que les combattants ont décidé d'envoyer quotidiennement leur rapport des violations journalières du cessez-le-feu par les ukrainiens à l'OSCE. Pour que le silence s'arrête.
Evidemment, et la Russie et Poroshenko ont intérêt à déplacer le conflit sur un terrain plus politique, en tout cas pour un certain temps. La Russie pour éviter des sanctions économiques qui risquent d'être trop lourdes (même si ces sanctions risquent d'être de toute manière prises car elles sont nécessaires - non pas à l'Europe). Et Poroshenko a besoin de finir de regrouper ses forces militaires (ce qu'il a officiellement affirmé hier), de reprendre délicatement et dans le silence un peu de terrain perdu. Et n'oublions pas que les bataillons et Secteur Droit ne lui obéissent pas, et certains l'ont également ouvertement déclaré. C'est pourquoi chacun assure que dans l'ensemble, le cessez-le-feu est respecté. Mais, comme chacun le sait en Russie, le Diable est dans les détails ...
Or ces informations qui circulent de manière tronquée sont différemment ressenties selon l'endroit où l'on se trouve. Les populations sur place, elles, doivent vivre avec des horreurs que nous avons du mal à voir en face. Comment ces habitants peuvent-ils voir la paix, alors qu'ils envisagent comme tout à fait possible que leurs voisins ukrainiens aient pu faire ça? Et vu ce qui s'est déjà passé plusieurs fois, l'on comprend leur position. Mais comment peuvent-ils vivre ensemble dans l'avenir? De cela aussi dépend réellement l'avenir du processus de paix dans la région pour les habitants. Et la possibilité même de l'existence de ces têtes coupées est tout aussi grave que la véracité du fait. Pour les gens du Donbass, oui, l'armée ukrainienne, les bataillons ou Secteur Droit peuvent se comporter de cette manière avec eux. Il leur faut vivre avec.
Maintenant, ces sites peuvent également avoir été bernés. Peut être aussi les habitants du Donbass se trompent en n'étant pas surpris par la nouvelle et en la faisant circuler. Peut être aussi les combattants ne comprennent pas que l'armée ukrainienne regroupe ses forces non pas pour attaquer mais simplement pour se défendre. Peut-être. Dans ce cas je ne manquerai pas de pouvoir enfin écrire un texte optimiste - ça manque ces derniers temps - et d'annoncer avec certitude que cette guerre est finie et que les responsables des crimes de guerre commis seront jugés de manière impartiale et condamnés. J'aimerais beaucoup l'écrire. J'espère!
Merci pour votre remarquable travail sur ce blog, sans doute le meilleur et le plus mesuré dans la cacophonie ambiante .
RépondreSupprimerQuant aux têtes coupées, ce que j'ai appris sur la guerre en Yougoslavie , par des combattants y ayant participé et non par des sites internet ou des journaux, m'a ôté tout illusion sur le vernis de civilisation et de démocratie dont chaque camp ,et surtout l'un plus que l'autre, se réclame . C'est d'ailleurs depuis l'aventure yougoslave que j'ai complètement perdu confiance dans l'objectivité et le professionnalisme de la presse occidentale . Les interventions des années 2000 n'ont fait que renforcer ce sentiment, auquel est venu s'ajouter le mépris .
Il faudrait publier les photos des victimes de leur vivant, ainsi que des preuves de l'envoi des caisses en bois aux parents de celles-ci (si elles ont été envoyées, cela a dû laisser des traces...).
RépondreSupprimerAvec cela, l'information remontera très haut, peut-être pas en Ukraine, mais partout ailleurs. Et nul doute qu'elle fera du bruit...
Non, car la presse occidentale bloque tout, efface tout, brouille tout. A un point que je n'aurais pas imaginé. J'ai envoyé à la revue Valeurs Actuelles une déclaration de la députée du Parlement ukrainien Elena Bondarenko que j'avais traduite. Je l'ai postée sur leur page, et envoyée en message privé, en disant que n'importe quel journaliste honnête réagirait à un tel témoignage, ou cette femme au péril de sa vie explique les méthodes d'intimidation et de désinformation de la junte, et que s'ils ne réagissaient pas, je devrais en conclure qu’ils n’appartenaient pas à la catégorie des journalistes honnêtes. Leur seule réaction a été d'effacer le post de leur page.
SupprimerAttention, certaines sources, notamment sur FB, indiquent qu'il s'agit d'un fake. Toutefois, difficile à vérifier.
RépondreSupprimerhttp://lesmoutonsenrages.fr/2014/09/11/barbarie-dans-lest-de-lukraine-des-meres-de-separatistes-faits-prisonniers-ont-recu-la-tete-de-leur-enfant-dans-des-boites-en-bois/
Ender, les moutons enragés
Merci pour votre blog ,pour toutes les informations et analyses précises et documentées que vous diffusez.
RépondreSupprimerDans la série foutage de gueule nos bons medias ne se privent pas. Je me souviens lors des manifestations de la place Maiden où un opposant au régime avait été soit disant enlevé et torturé pendant une semaine. Le monde entier était outré devant l'image d'un gars avec un grand pansement sur la joue et sur l'oreille. Des images montrées, j'ai vu un type plutôt en bonne forme pour avoir été torturé pendant une semaine. l'histoire de la Madonne de Gorlovka je ne connaissais pas et est-ce que le monde connais ces images? Certainement pas autant que notre torturé sorti tout droit d'un Mc Do.
SupprimerSi l'affaire s'avère véridique, il y aurait lieu de faire un certain nombre de choses pour protéger les familles qui ont reçu ce macabre colis et pour faire connaître publiquement cette atrocité sans nom au grand public (pour que ce public se rende compte de ce type de menaces diffus dans une société en conflit et qu'il fasse pression sur nos gouvernements occidentaux pour qu'ils retirent leur soutien à la Junte de Kiev et qu'ils la désavouent ouvertement et officiellement.
RépondreSupprimer1 - D'abord constituer un comité de soutien avec des avocats engagés (un genre de livre blanc parlant et agissant) pour porter l'affaire devant le tribunal d'un pays étranger (il faufrait officialiser la plainte).
2 -Garder l'anonymat de ces mères pour les protéger d'autres exactions.
3 - Assurer le suivi du dossier avec ce collectif de soutien rassemblant des personnalités, des personnes civiles et les mêmes avocats, tenir le dossier de presse à jour et organiser les communications. (même si la presse mainstream n'en fera rien, il y aura toutes les autres en alternative et parmi elles, certaines sont des références sérieuses - une bonne dizaine de blogs et sites francophones, anglophones et quelques uns germanophones et russophones - ils sont tout à fait disposés à accueillir des informations de première-main. Certains journalistes d'investigation et éditeurs de leur propres sites pourront même procéder à des enquêtes complémentaires.