Les employés d'une petite ville de l'Oural se sont adressés, lors de la Ligne directe, au Président russe pour qu'il les aide à obtenir le paiement de leur salaire, que le directeur de l'usine refusait de payer malgré une injonction du tribunal local. Evidemment, il a payé. Evidemment, après l'intervention du Président. Une habitante est logée dans une barraque en bois insalubre, elle reçoit les clés du bonheur. Mais un bonheur très ciblé. Combien y a-t-il d'employés dans ce cas en Russie? Combien d'habitants? Le Président doit-il intervenir pour chaque cas ? Si les autorités locales ne peuvent faire correctement leur travail, c'est l'Etat qui est en danger.
Dans la petite ville de l'Oural de Nijnyi Taguil, l'usine de production d'isolants a été déclarée en banqueroute. Dès août 2016, les impayés de salaires devant les 195 employés s'accumulaient et finalement ont atteint plus de 13 millions de roubles en 2017. La procuratura locale avait déjà réussi à obtenir le paiement partiel des arriérés, l'usine avait été condamnée à une amende pour ce retard de paiement. Mais rien à faire, la direction de l'usine en faillite refusait malgré les décisions judiciaires de procéder aux paiements des derniers arriérés de salaire.
Les employés ont envoyé un message audio au Président lors de la Ligne directe, qui se transforme de plus en plus en Cahiers de doléances d'Ancien régime, pour qu'il intervienne, le bandit qui leur servait de directeur ayant déclaré qu'il ne paierait rien tant que le Président lui-même ne lui demanderait pas.
Un message comme une bouteille à la mer. La bouteille fut ramassée, le message est passé, même s'il n'a pas été diffusé en direct, et le sauvetage a eu lieu. Le Gouverneur a été interpellé, la Procuratura générale doit prendre cette affaire sous son contrôle, des fonds ont "miraculeusement" été trouvés et les gens reçoivent leurs salaires.
Il y a quelques temps, également après la Ligne directe, c'était une habitante d'une barraque en bois totalement insalubre qui demandait au Président de venir les sauver. Les pouvoirs locaux n'ayant aucune volonté à résoudre ce problème. A la visite du président, elle a reçu les clés de son nouvel appartement. Combien sont dans ce cas dans le pays? Faut-il aller voir chacun?
Ou encore l'énorme décharge à ciel ouvert qui polluait les habitations se trouvant à côté, dans la région de Moscou. Qui ne se trouvait pas sur la liste d'urgence... qui a déjà été fermée. Etc, etc etc.
Des gouverneurs ont été changés, en espèrant que les nouveaux feront leur travail. Mais deux choses doivent retenir l'attention.
En ce qui concerne la question des retards de paiement par les chefs d'entreprise. Rappelons que la mode politique est à la victimisation des chefs d'entreprise, évidemment victimes des structures étatiques, notamment de la Procuratura dont les pouvoirs ont été plus que restreints, la mode n'est pas à leur responsabilisation. Difficile ensuite d'accuser les procureurs de ne pas faire leur travail. Les organes d'Etat réagissent en fonction des signaux qu'ils reçoivent. Ici, les signaux sont particulièrement confus. Laisser le business tranquille, car c'est le business, donc un espace sacré, l'avenir de la nation. Mais défendre les droits des gens efficacement. Sans toucher à l'avenir de la nation, bien sûr. Entre le marteau et l'enclume, les procureurs font ce qu'ils peuvent.
Moscou parle de la numérisation de l'économie, des "villes intelligentes". Moscou parle de "rénovation", s'indigne que l'on ose s'interroger sur les fonds employés par le business de l'art contemporain. Moscou estime. Moscou s'indigne. Moscou vit sa vie. Surréaliste. Reconnaissons que l'industrie c'est sale, la spéculation boursière est beaucoup plus clean. La criminalité en costume est quand même plus agréable à regarder. Mais qui va produire? En dehors des gadgets modernes qui utilisent, pour leur commercialisation, les acquis de la sciences du temps de l'industrialisation et de la recherche d'Etat? Le système de transmission des mécanismes étatiques est grippé. Celle de l'intérêt public aussi.
Tout d'abord, parce que des signaux trop contradictoires arrivent du Centre. Ensuite, parce que le concept de "patriotisme" est employé à tout vent dans des domaines où il n'a strictement rien à faire: lorsque l'on est en poste, l'on fait son travail le mieux possible, c'est ça être patriote; lorsque l'on est business man, l'on paie ses impôts et l'on remplit ses obligations envers l'Etat, c'est ça être patriote. Enfin, parce que l'aura présidentielle est telle qu'elle fait beaucoup trop d'ombre aux pouvoirs locaux, dont l'autorité est proportionnellement rabaissée, de manière quasi automatique.
Les Lignes directes et autres évènements de ce genre ont le mérite de faire remonter l'information, certes. Mais cela démontre surtout que 1) l'information ne remonte pas par les mécanismes institutionnels et 2) que les problèmes ne peuvent être traités et résolus de manière systémique. C'est ici la solidité de l'Etat russe qui est en jeu. Car tous ces mécanismes de contournement, sont il est vrai une forme de rafistolage d'urgence, mais ils sont aussi porteur d'une dimension idéologique, néolibérale. L'Etat en tant que tel est incapable de gérer le problème, l'on n'apporte pas de réponse institutionnelle, pas de système de responsabilité politique, pas de responsabilisation du business, mais l'on ancre dans l'opinion public ce dysfonctionnement comme un état de fait permanent. L'Etat est discrédité, seule l'intervention personnalisée est reconnue.
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