Le metteur en scène russe K. Serebrennikov vient d'être interpelé à Saint Petersbourg par le Comité d'enquête fédéral. L'enquête, malgré les pressions médiatiques des milieux artistiques, intérieurs et étrangers, a finalement débouché sur son implication personnelle dans le détrounement de fonds à grande échelle réalisé dans le cadre du théâtre moderne Gogol Center par le 7e Studio. Vues les réactions, il semblerait que ces milieux artistiques se sentent au-dessus des lois ... et de l'indépendance de la justice.
L'enquête sur les détournements de fonds publics concernant le Gogol Center pour les années 2011-2014 a commencé il y a plusieurs mois. En mai, nous nous demandions, à ce sujet, où se trouvait la frontière entre l'art expérimental, dont se réclame ce metteur en scène, et le très banal détournement de fonds (voir notre article sur ce sujet ici). Nous venons d'obtenir une réponse de bon sens.
Environ 200 millions de roubles semblent avoir été détournés, Sebrennikov est concerné par le détournement de 68 millions de roubles. Selon les services fiscaux, il n'y a pas de concordance entre les revenus et les dépenses. 16 millions de roubles ont été payés pour les décorations d'un spectacle ... en papier-maché, 20 millions pour des costumes quand les acteurs sont nus, etc.
Les personnes interrogées par le Comité d'enquête, dont l'ancienne comptable en chef du 7e Studio, ont déposé contre K. Serebrennikov et n'ont pas voulu prendre sur leurs épaules toute la responsabilité du schéma de détournement de fonds qu'ils ont dit organisé par le génie de l'art expérimental.
Pour autant, les milieux artistiques russes et étrangers défendent becs et ongles cette "répression" contre un génie trop indépendant qui évidemment dérange le Kremlin. Cela manque d'imagination, mais on fait avec ce que l'on a. En Russie, des acteurs et metteurs en scènes ont écrit une lettre en soutien à Serebrennikov (les autres figurants, moins médiatisés, ne semblaient pas autant les intéresser), qu'ils ont remise au Président russe. En d'autres termes, cela s'appelle faire pression sur l'enquête, c'est une atteinte à l'indépendance de la justice, qu'ils réclament pourtant à corps et à cris, il est vrai dans d'autres circonstances. A moins qu'ils ne considèrent que les artistes bénéficient a priori d'une immunité totale, qu'ils sont au-dessus des lois et des juges. Qu'il suffit d'un battement de cil du Président pour que l'enquête ne s'effondre d'elle-même, comme dans une société primitive. Mais le Président n'est pas un Grand Sorcier et la Russie n'est pas un pays primitif.
En revanche, après la lettre, l'enquête a été transmise du Comité d'enquête de Moscou au Comité d'enquête fédéral, qui a eu moins peur d'atteindre les responsables, même s'ils sont médiatisés.
Sur la scène internationale aussi, la réaction ne s'est pas faite attendre, comme l'illustre cet article caricatural à souhait de la presse française:
Directeur artistique du Centre Gogol, célèbre théâtre contemporain de Moscou, et réalisateur de films présentés aux festivals de Cannes ou Venise, M. Serebrennikov, 47 ans, est soupçonné de "fraude à grande échelle", un délit passible de dix ans d'emprisonnement, a annoncé dans un communiqué le Comité d'enquête, service chargé des principales affaires et répondant directement au Kremlin.
Bref, Cannes et Venise contre le Kremlin, la culture contre la barbarie. Mais plus sérieusement, alors que la globalisation adore la création de structures indépendantes, raison pour laquelle le Comité d'enquête a d'ailleurs été créé sur pression des organisations internationales, il est maintenant décrit comme totalement et directement dépendant du "Kremlin". C'est un peu comme dire que le FBI répond directement à la Maison Blanche, mais étrangement, ici, ça choque moins.
Des acteurs et des directeurs de théâtre français dont le directeur du festival d'Avignon Olivier Py avaient dénoncé dans une lettre publiée dans le quotidien Libération le "traitement inadéquat" réservé à "ce trublion génial de la scène théâtrale et du cinéma russe (qui) paye douloureusement sa liberté de création".
En effet, que serait l'art en Russie sans Serebrennikov... question de goût. Il est vrai que l'individu est très à la mode en Occident et correspond tout à fait à "un russe fréquentable". Après l'agression par la Géorgie de l'Ossétie du Sud en 2008 et l'intervention russe pour éviter un nettoyage ethnique, suivant les recommandations de McCain, il affirmait être prêt à se promener avec un tee-shirt disant "Je suis géorgien", il a soutenu les Pussy Riot, les droits des homosexuels, a déclaré que la Russie "était un pays profondément ancré dans l'esclavage", etc.
Cela et le reste ne l'ayant nullement empêcher de faire carrière dans les grands théâtres russes, de récupérer le théâtre Gogol, de le démenteler en Gogol Center, de le diriger et de très bien le faire financer par le ministère de la culture ces dernières années, pour la répression politique, il faudra repasser. D'ailleurs, son interlocuteur au ministère de la culture est également sous le feu des enquêteurs, sans qu'il ne soit question de répression politique. En revanche, les détournements de fonds à grande échelle, ça ne passe pas.
Mais ces individus post-modernes, ne s'embarrassent pas de scrupules. En même temps l'on critique la Russie, ce pays arriéré et corrompu, ce pays où le Président décide de tout, tout seul. Et l'on est financé par le ministère de la culture, on pratique la corruption, le détournement de fonds et l'on s'adresse au Président pour faire pression sur la justice lorsque l'un "des siens" est découvert.
Ce que j'aime le plus, ce sont les gens qui ont des convictions.
Bonsoir Karine, j'en viens à me demander s'il ne faut pas finalement rire de cette propagande ! En l'espace d'une semaine j'ai appris que deux jeunes personnes en cours de scolarité avaient décidé d'apprendre le russe ! C'est un bon signe ! Faut-il en remercier la propagande d'Etat ?
RépondreSupprimerAberrant. Depuis quand un «artiste» est un hors norme, une exception ? Voilà un type, dont la tronche me ferait changer de trottoir si je venais à le croiser, qui à réussit à soulever l’indignation du bastion «culturel». Mais enfin, s’il y a une enquête ce n’est pas uniquement pour lui chercher des poux dans la tête ! Le système judiciaire russe à largement de quoi s’occuper. La seule explication valable pour susciter tant de remous autour de ce quidam c’est qu’il est peut être juif : un intouchable.
RépondreSupprimerQuant à l’artiste, à la culture on repassera. À une époque de standardisation de tout goût pour l’authentique, d’annihiler toute émotion, toute communication de sensibilité ou les artistes ne produisent qu’en service commandé parler de culture est ridicule. Ceux que l’on appelle artistes des infimes crétins transformer en idole pour satisfaire la foule qui ne se met à genoux que devant l’or et la merde. Quand à la culture ; un effilochage de fadeurs boursouflées couvrant toutes les paillasses à l’allure de luna-park.
Les hommes des cavernes avaient plus de culture que nous autres. La preuve elle a durée à travers les siècles.
Quelle dégringolade !
S'il est emprisonné et, je ne vois pas pourquoi il ne le serait pas, sous prétexte que ce monsieur est dans le showbizz, s'il a détourné des fonds publics il doit payer comme tout citoyen lambda.
RépondreSupprimerJe ne le connais pas du tout, je ne n'ai vu aucun de ses films, mais quelqu'un qui soutient les Pussy Riot et donne tort à la Russie chaque fois qu'elle est confrontée à l'Occcident ne peut pas avoir ma sympathie.
Sur France Culture, ce matin, il était présenté comme victime du régime de Poutine et considéré comme prisonnier politique. On a pas fini.