Alors que la Douma a adopté la loi prolongeant d'un an l'existence des Conseils de soutenance de thèse des Universités d'Etat de Moscou (MGU) et de Saint Pétersbourg, pause vitale pour ne pas bloquer le processus scientifique, en vue du transfert de ces compétences au sein des Universités, l'Université de Moscou rejette la loi adoptée et obtient du ministère la suppression immédiate de tous les Conseils restants. Quel est le but d'une telle démarche? Pourquoi l'un des deux pricipal sujet de cette loi part en opposition directe avec la politique nationale, confirmée par les députés, juste après la signature par le Président du texte de loi? Un tel niveau d'absurdité montre que l'enjeu est ailleurs. Le fameux Deep State ne serait-il pas sorti de l'ombre en Russie aussi?
Le système de soutenance des thèses en Russie est historiquement un système national, avec des Conseils de soutenance permanents, contrôlés par une Commission centrale d'attestation. La réforme de ce système a été lancée sous l'ancien ministre de l'éducation nationale (voir notre article sur la globalisation du système scientifique russe), Livanov, et se poursuit aujourd'hui après son départ.
Très controversée dans les milieux universitaires, cette réforme donne le droit à deux Universités, l'Université d'Etat de Saint Péterbourg et l'Université d'Etat de Moscou de délivrer elles-mêmes les titres scientifiques de doctorat et de doctorat d'Etat, sans contrôle de la Commission centrale d'attestation. Sans même entrer sur le fond idéologique, le but de toute réforme étant l'amélioration du système et non sa fragilisation, la manière dont cette réforme est mise en oeuvre dépasse le niveau acceptable d'absurde dans toute société développée.
Tout d'abord, les "anciens" Conseils de ces deux Universités ne passent pas automatiquement au nouveau système, certaines conditions ayant été modifiées entre temps. Or, il faut du temps pour constituer un Conseil, plusieurs mois, voire plus d'une année et il y a déjà eu la réforme de 2012 - 2014 à digérer. Maintenant, il faut les fermer et recommencer la procédure à zéro. Or certains membres sont morts, d'autres peuvent ne plus avoir envie d'en faire partie, etc. En attendant, des chercheurs ont terminé leurs recherches, sont prêts à soutenir ... et il n'y a plus de conseils. Il faut attendre, plusieurs mois, un an ou plus, si d'ici là les conditions de formation et les exigences pour la soutenance ne seront pas encore moditifiés, puisqu'ils le sont en permanence, ce qui bloque sérieusement le travail scientifique des deux plus grandes universités du pays.
Ensuite, la question de la coexistence de deux systèmes, le système traditionnel et nouveau, ne tourne pas à l'avantage de ce dernier, totalement étranger aux traditions universitaires russes. De fortes pressions ont été faites, pour "inciter" les conseils à fermer et à constituer de nouveaux, mais beaucoup trainent les pieds, ne voient pas l'intérêt de cette réforme. Car finalement elle n'apporte rien en ce qui concerne l'amélioration des procédures de soutenance, le renforcement du niveau des soutenances ou de l'autorité des conseils. Au contraire.
Comprenant les difficultés de mise en oeuvre et pour laisser une période transitoire d'adaptation, le gouvernement et des députés de la Douma, comme V. Nikonov à la tête du Comité de l'enseignement de la Douma, ont discuté depuis avril d'un prolongement du système transitoire. Nikonov proposait de faire durer la période jusqu'en 2019, pour laisser les Universités de Moscou et de Saint Pétersbourg voir comment fonctionnent les nouveaux conseils qui furent constitués et laisser les réfractaires être convaincus par la nouveauté. Finalement, les députés ont adopté le 20 juillet la loi prolongeant les conseils de soutenance des Universités d'Etat de Saint Pétersbourg et de Moscou. La loi fut signée par le Président de la Fédération de Russie le 29 juillet et est entrée en vigueur le lendemain (voir le texte ici).
Une loi très spécifique qui concerne uniquement deux universités. C'est alors que quelques jours après, le 14 août 2017, le Recteur de l'une d'entre elle, l'Université d'Etat de Moscou (MGU), V. Sadovnitchy, s'adresse au ministère de l'éducation nationale ... pour que cette loi ne s'applique pas à l'égard de l'un des deux sujets de cette loi. Et le vice-ministre G. Troubnikov, qui vient d'être nommé au ministère en janvier de cette année, venant de l'Académie des sciences dont il a soutenu la "réforme" (ou le dépeçage, c'est selon) et a obtenu d'être élu académicien en octobre 2016 (juste avant de passer au ministère, un hasard) signe très rapidement, le 29 août, un décret allant dans le sens du Recteur de MGU, annulant le travail des députés.
Il liquide ainsi pas moins de 82 Conseils de thèse, sachant que l'Université en compte une centaine, dans tous les domaines, allant de la psychologie, à l'économie, au droit, jusqu'à la physique, les mathématiques etc etc etc.
La présidence de l'Université ne pouvait pas expliquer aux députés qui ont passé des mois à discuter d'un mécanisme transitoire pour permettre un passage en douceur, que justement ce passage en douceur n'était pas nécessaire? Que la bonne vielle thérapie de choc pouvait faire son retour. Qu'il est possible de détruire la plus grande partie des conseils de soutenance. Que la plus grande université du pays peut se passer de soutenances, donc de nouveaux docteurs en sciences, pendant à peu près une année. Que tous ceux qui sont prêts à soutenir n'ont qu'à se débrouiller et aller soutenir dans les autres universités du pays, plus faibles, mais dont le système n'a pas été mis K.O. Il ne pouvait pas le dire pour que les députés ne perdent pas plusieurs mois, alors qu'ils ont de quoi s'occuper sinon?
Non, il ne le pouvait pas, car cela n'est pas dicible. Et l'on se retrouve avec une loi qui concerne deux universités, qui a été discutée longtemps par des députés qui s'inquiétaient pour ces universités, pour que les réformes passent bien. L'on se retrouve avec une loi qui sur demande d'un des deux Recteurs, avec l'accord d'un vice-ministre ayant terminé une école technique quelque part au fond de la province russe, qui ne s'appliquera pas.
Les bolchéviques sont de retour? Les méthodes correspondent: casser, pour cela utiliser les personnes adéquates. Toujours au nom de grands idéaux. Qui ne seront pas atteints et peu importe, les résultats tangibles eux, la destruction d'un système, seront eux atteints. D'une certaine manière, comme aux Etats Unis, le Deep State est sorti de l'ombre en Russie aussi.
Alors que les institutions étatiques adoptent un certain cours politique, car une loi n'est pas qu'un acte formel, c'est la transcription d'une volonté politique, il existe des individus qui représentent certaines forces idéologiques incompatibles et peuvent réorienter les décisions prises, voire les faire annuler frontalement si elles risquent de porter atteinte à leur idéologie.
Car le danger, pour eux, existe. Ces nouveaux conseils ne tiennent pas la comparaison avec les traditionnels. Il faut donc annuler toute concurrence. Pour une idéologie qui prône la concurrence, amusant. Et tout cela est fait l'été, lorsque les gens sont en vacances et mis devant le fait accompli à la retrée. Où sont les consultations, la transparence? Oubliées pour les besoins de la cause.
Dans cette logique, à quoi servent les lois si un Recteur et un vice-ministre peuvent s'en affranchir si vite et si facilement, mettant des centaines de personnes en difficulté et tout un système en apnée? A quoi sert de prendre des décisions politiques au niveau du Gouvernement, du Président, d'autres ont une "certaine" vision du pays, qu'ils mettent de toute manière en oeuvre.
L'Etat de droit national est mort vive le Deep State? Espèrons que le processus ne soit pas irréversible. Cela relativise en tout cas fortement l'image tant répandue dans la presse occidentale d'un Président tout puissant, puisque manifestement il peut se faire doubler par un jeune vice-ministre.
Feraient-ils pire que les américains avec Trump? Certains russes peuvent se permettre de rayer d'un trait de plume, les lois décidées par les députés et signées par Poutine? Incroyable, et on essai de nous faire croire que c'est le pire des dictateurs. S'il ne veut pas qu'on le prenne pour un imbécile qui ne sert strictement à rien, il a intérêt à réagir.
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