Il était une époque où la référence de l'enseignement supérieure et de la recherche en URSS était l'Académie des sciences, les Universités historiques de Moscou ou de Saint-Pétersbourg, où les questions comme la recherche atomique, l'espace occupaient les esprits. Ces grands centres étaient des références, faisaient la Une. Maintenant, avec le culte de business et la théorie primitive du management, c'est l'Université McDo de hamburgerologie qui vient d'ouvrir en grande pompe à Moscou qui donne le ton. La chute est aussi vertigineuse qu'inquiétante. De la souveraineté McDo ...
Un remarquable article vient de sortir dans le journal russe libéral Kommersant sur l'ouverture officielle de l'"Université de hamburgerologie" ce 15 mai à Moscou. Très sérieusement, ce non moins sérieux journal, en vante les qualités, qui répondent aux exigences du monde moderne, loin des méthodes "dépassées" des Universités publiques. Il s'agit de la 1ère en Europe de l'Est et de la 8e dans le monde. Elle est prête à accueillir 4 000 étudiants et ses diplômes seront reconnus dans le monde McDo, c'est-à-dire dans les 120 pays où il y a des McDo. En Russie, ce diplôme sera un diplôme d'Etat (et non d'entreprise) au titre de "directeur d'entreprise alimentaire". Pourtant, les enseignants seront issus des formations organisées dans les autres Universités McDo ...
Le programme de formation sera orienté autour des questions de la réalisation du business, des qualités de leader et du bon accueil. Comme l'écrit sans sourire ce journal, sans la moindre note d'humour ou d'ironie, les étudiants russes auront enfin accès aux meilleures formations. Et comme le summum est l'enseignement à distance ou sur youtube, car il est bien connu que l'individu sait déjà tout, nous sommes à l'époque des génies sans bouillir; la plupart des enseignements seront ... disponibles on line. Pour ceux qui, comme moi, ont été amenés dans leur vie professionnelle à assurer des cours à distance, vous comprendrez quelle qualité de l'enseignement en découlera. Mais il est vrai que pour apprendre à être "leader" du hamburger, c'est largement suffisant.
Sans humour, car on ne plaisante pas avec le sacré. Et le business est sacré depuis la revanche des années 90. Or, dans ce monde sacré, McDo occupe une place qui empêche manifestement toute possibilité de recul. Environ 680 McDo en Russie, plus de 50 000 employés, dont 89% ont entre 16 et 24 ans. Cela donne une marge de soft power non négligeable. Soulignons que si la Chine pratique la diplomatie du panda, les Etats-Unis manient à merveille celle de leurs entreprises. Surtout en contrepartie de l'effet psychologique des sanctions.
Une sorte de "MacDoisation" de l'éconmie, une "haburgerisation" de la souveraineté. Il est vrai qu'après toutes les réformes de l'enseignement subies en Russie sur le mode de la théorie du management portée par les milieux dirigeants néolibéraux, implantant avec le fanatisme des nouveaux convertis les impératifs de l'OCDE (dont la Russie ne fait même pas partie), il fallait s'attendre à tomber aussi bas. Mais quand même, c'est difficile à croire ...
Que cette dégénérescence de la formation supérieure soit promue par l'entreprise elle-même, soit; qu'elle soit promue par un journal qui fait une sorte de publicité (gratuite?) à peine cachée, soit. Mais qu'elle puisse découler sur un diplôme d'Etat, oblige à s'interroger sur la vision de la société défendue par ce Gouvernement ... Que cette Université McDo ait par ailleurs des supporteurs primitifs (ou stupides ? ou payés ?) dans le système universitaire, l'on prend alors la mesure des dégâts commis depuis la chute de l'Union soviétique. Olga Pasko, professeur, Université de l'amitié des peuples, Moscou (certes, c'est loin d'être l'Université la plus forte en Russie, mais elle n'est pas la dernière non plus) :
"Game learning, la formation par l'implication des participants, coaching, travail en équipe favorisant le contact - tout cela n'est pas suffisant dans l'enseignement supérieur russe contemporain. L'expérience de l'Université de hambugerologie doit absolument être projetée dans le système de l'enseignement supérieur public"
La dernière phrase donne vraiment froid dans le dos ... Chère Olga Pasko, pourriez-vous m'expliquer, s'il vous plaît, dans quelle mesure, à l'occasion de mes cours sur la théorie de la justice à des étudiants qui n'ont absolument pas les connaissances suffisantes (et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils étudient), s'ils s'asseyent en rond autour d'une table ils apprendront mieux (surtout que certains me tourneront alors le dos?)? Si dans des groupes devant favoriser le contact, un seul prend des notes pour les autres et les autres lui poseront des questions (ce sera le coach), en quoi mes étudiants apprendront mieux ? S'ils font des rapports et des présentations devant leurs petits camarades de jeu avant même d'avoir obtenu les connaissances (puisqu'ils sont en cours de formation et que les connaissances, justement, pour avoir du sens doivent être systémiques), donc en faisant des copier-coller sur Wikipédia, en quoi auront-ils de meilleures connaissances ? Et surtout, comment ces méthodes infantiles pourront-elles finalement en faire des êtres plus solides, capables de se former leur vision du monde ? Je vous rappelle incidemment, que nous formons des être humains, complexes et complets, nous ne programmons pas des robots. Parce qu'ils auront appris les recettes prédigérées "comment devenir leader", seront-ils pour autant reconnus comme tel par leurs paires ? Ne devient-on pas un "leader" à force de travail, d'efforts et d'excellence ? Ou bien un leader, aujourd'hui, est-il un gamin de 22 ans qui, lors de game learning, va mettre en place des groupes, qui vont impliquer les participants en intensifiant les contacts ? (Est-ce cela une formation supérieure?). Autrement dit, du vide. Non, il en sortira des hamburgers, faute de trouver de véritables personnes compétentes.
Une Nation, qui avant se proposait de domestiquer l'espace, qui avait une vision du monde et de l'homme, fait de l'ouverture d'une formation d'entreprise un évènement pour l'enseignement supérieur et un modèle à suivre pour tout le pays. N'y a-t-il pas une disproportion inquiétante? Inquiétante, car ce non-évènement se construit de toutes pièces avec le soutien des groupes gouvernementaux néolibéraux, qui permettent sa réalisation; avec le soutien de la presse, qui diffuse l'information de manière non critique; avec le soutien de certains universitaires, qui viennent légitimer cette imposture. Il est vrai que certains font une propagande démesurée pour l'enseignement par internet, soi-disant économique et beaucoup plus "moderne" (et l'on voit déjà les résultats des réformes néolibérales dans la vie quotidienne, par exemple avec la baisse de fiabilité des transports), d'autres cultivent les leaders comme des petits pois (et leur poids politique en dehors de ces milieux privilégiés et déconnectés est comparable ... aux petits pois). Mais la Russie est un pays (encore relativement) souverain, tout au moins politiquement elle le revendique, il est à espérer que l'instinct de survie se réveille. Dans les "élites", car les populations, en général, elles, confrontées à la vie réelle et non aux "villes intelligentes", ont bien les pieds sur terre.
Pourquoi ne puis-je m'empêcher de penser à l'université Soros et à la French-American Foundation, l'un des instruments du soft power américain qui a déjà "formé" deux présidents (Hollande et Macron) et de nombreux Young Leaders de l'État français comme Alain Juppé, Édouard Philippe, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Laurent Wauquiez et tant d'autres ?
RépondreSupprimerIl n'y a pas que le cinéma et les géants de l'internet qui servent à diffuser la culture US sur la planète et toutes ces institutions ne sont pas nécessairement vouées au bien de l'humanité.
Chassez par la porte, il reviendra pas la fenêtre.
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=xGN5N3vrbLE
Comme toujours, voici encore un excellent article. C'est fou comme les dirigeants russes d'aujourd'hui à valent les couleuvres néo-libérales US ? Existe-t-il une version russe de l'article que je puisse transmettre à mes amis russes ?
RépondreSupprimerBonjour, non, cet article n'est qu'en français. En revanche, vous avez le lien de l'article de Kommersant dans le texte, qui, il est vrai n'est absolument pas critique ... désolée!
SupprimerCe nivellement par le bas (américain) est omniprésent dans les ex-pays de l'Est. En Serbie p.ex. à Belgrade, ont m'a raconté, un client entre dans un taxis en poussant un bout de papier sous le nez du chauffeur- Sur ce dernier est gribouillé l'adresse d'une haute école/université privé et qui sont pléthore en Serbie, Belgrade en particulier. Ce client en question est venu retirer son diplôme et comme il n'a jamais mis les pieds dans cette école il a beaucoup de peine à la trouver.
RépondreSupprimerCette anecdote provoque hilarité chez les serbes mais les conséquences in fine seront tragique pour la culture et enseignement.
Et le pouvoir en place ne trouve rien à redire...
C'est un blague ?
RépondreSupprimerEt ils vont aussi fabriquer, comme chez nous, des corniauds qui vont devenir "managers" de rayons chez Auchan (ou Magnit - Магнит), avec pour principale compétence le harcèlement des caissières ?
Réouvrons les goulags, vite !
Une université de hamburgerologie à Moscou, j'hallucine, je ne savais même pas que ce bidule pouvait exister, il me semble qu'une maternelle serait largement suffisante. Les américains sont vraiment inégalables pour vendre leur malbouffe, mais que les russes tombent dans le panneau...
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