Alors que le discours officiel est d'affirmer que tout est sous contrôle, des informations aussi discrètes qu'inquiétantes fuitent dans la presse russe. Comme nous l'avions écrit, le Covid et l'investissement massif dans le tout-numérique semblent jouer le rôle déstabilisateur pour le budget russe qu'avait joué la course aux armements pour la chute de l'Union soviétique. Le ministère des Finances russe veut lancer deux grandes réformes managériales de l'armée et du ministère de l'Intérieur pour faire des coupes sévères, et dans le personnel, et dans le financement. La justice est également dans l'angle d'attaque : contre la loi fédérale, et malgré la réforme constitutionnelle prévoyant un "Etat social", les salaires des magistrats ne doivent plus être indexés. Les réactions de ces structures essentielles de l'Etat sont extrêmement négatives. Donc, soit il y a des difficultés financières, ce qui serait assez logique après l'entrée globale dans l'ère du Covid, soit il n'y a pas de problèmes financiers et la décision est purement idéologique, néolibérale : réduire et désorganiser les ministères-clés de l'Etat.
Le ministère des Finances a fait plusieurs propositions au Conseil de sécurité concernant trois des ministères-clés de la puissance étatique, à savoir l'Armée, l'Intérieur et la Justice. Et ces ministères se sont prononcés de manière particulièrement négative.
Il a été demandé aux Armées de réduire et leur personnel, et leur service, de 10%, tout en augmentant l'âge de départ à la retraite. Ce qui fait une coupe de ... 100 000 postes. Donc de 100 000 personnes. Pour cela, il est proposé, notamment, de ne pas remplacer les postes vacants, de transférer dans le service civil toute une partie des militaires, à savoir les membres des services juridiques, médicaux, de l'intendance, etc. Le problème est qu'il y a 10 ans, la plus grande partie d'entre eux a déjà été transférée vers le civil. L'opération pourrait, en fait, se faire principalement sur la base du non-remplacement des postes vacants. Sur les 20 milliards de roubles d'économie demandée, environ 3% pourront être atteint.
Par ailleurs, des économies doivent être réalisées en dégradant l'intendance :
- augmentation du temps réglementaire d'utilisation des uniformes ou les remplacer par une compensation financière;
- obliger les militaires rompant par anticipation leur contrat à rembourser leur uniforme, proportionnellement au temps de port;
- ne garantir les repas des militaires sous contrat que lorsqu'ils sont de garde ou en manoeuvre;
- annuler la norme législative prévoyant une indexation annuelle de la pension de 2% au-delà du taux d'inflation;
- augmenter le temps de service ouvrant droit à une pension de 20 ans à 25 ans et sans prendre en compte le temps d'enseignement;
- augmenter le délai ouvrant droit à une hypothèque pour les militaires : pour les officiers - 5 ans après la fin de la formation, et non plus dès la fin de formation; pour les soldats et sergents - prévoir un délai de 3 à 8 ans de service.
De plus, une réduction de 10% des effectifs et la fusion managériale de différents services (pénitentiaires, des huissiers de justice, le service fédéral de liaison) doit être réalisée sur la base du ministère de l'Intérieur. L'on y retrouve également l'allongement du service, l'augmentation du temps de port légal des uniformes, la fin de l'indexation de plus de 2% des pensions. Ici, un certain nombre de compétences doivent être également transférées vers des ministères civils. Par exemple, le contrôle du trafic de drogue sortirait de la compétence du ministère de l'Intérieur, pour être transféré vers le ministère de la Santé : doit-on y voir une certaine tolérance ? Le ministère de l'Intérieur s'est fortement prononcé contre ces mesures, précisant que les effets "collatéraux" pourraient être important. Certains estiment qu'il peut en suivre une dégradation et une désorganisation des services.
Enfin, la justice est également dans la ligne de mire et là aussi le mécontentement gronde: un projet de loi envisage de suspendre l'indexation annuelle des salaires sur l'inflation. Or, selon la loi fédérale, les salaires sont indexés chaque année en fonction de l'inflation et pour l'année suivante en fonction de la loi budgétaire. La décision sur le montant concernant l'augmentation (indexation) des salaires est prise par le Président. Or, le projet de loi ne prévoit pas d'indexation des salaires, ce qui revient à une baisse des salaires. Dans ce cas, selon la loi fédérale, une telle décision ne peut être prise qu'avec l'accord du Conseil des juges. En l'occurence, le présidium du Conseil des juges, qui est un organe on ne peut plus systémique, a adopté une résolution négative quant au projet de loi et l'a adressé à la Douma et au Gouvernement fédéral. Avec une argumentation on ne peut plus détaillée.
En raison de la décision politique prise d'entrer dans le jeu du Covid, avec toutes les conséquences économiques que l'on connaît (et pas uniquement en Russie), il semblerait que le budget connaisse quelques difficultés, surtout que la paix sociale doit s'acheter avec des aides ponctuelles. Le Covid est prévu pour durer, car c'est un instrument particulièrement efficace pour faire plier les pays résistants. Mais il ne faut pas oublier la dimension idéologique de ces réformes : les coupes budgétaires ne concernent pas, par exemple, le ministère du Numérique, mais l'Intérieur, l'Armée et la Justice. Ce n'est pas un hasard. C'est un choix ... dangereux pour la stabilité du pays.
1) je me suis aperçue depuis l'annonce fracassante de la survenue de l' "épidémie" (je n'utilise pas l'expression "début de l'épidémie" à dessin) qu'il y a systématiquement un décalage de 1 - 2 semaines entre la prise des mesures restrictives par l'UE et par la Russie. C'est à croire que Poutine calque sa politique #covid19 sur celle de l'EU (et non des USA! Ciel!!!). Par ailleurs, Poutine vient de faire une belle embardée révélatrice lors du "Forum Valdaï": il a tout simplement noyé la question fort embarrassante sur la stratégie adaptée par les pays qui n'avaient pas confiné, la Biélorussie et la Suède, et dont la situation sanitaire n'est pas pire qu'ailleurs. https://francais.rt.com/international/79932-president-russe-vladimir-poutine-prend-parole-17e-reunion-club-valdai (voir à partir de la minute 53:30).
RépondreSupprimer2) Les restrictions budgétaires dans les secteurs-clé de l'appareil étatique? - Le programme de Macron énonçait clairement que le candidat entendait gérer la France comme l'on gère une entreprise. De là, le pas était tacitement franchi vers la numérisation de la vie française dans tous ses aspects. Dans la Russie poutinienne et avec la complaisance flagrante de la population débilisée l'on sombre direct (Cf: "Ville Intelligente" de Sobianine) dans le tout-numérique étasunien suivi de la gestion par l'impératif de rentabilité des ministères-clé à l'européenne. C'est comique à en pleurer: la Russie dépouille son armée mais la France pas - faut il expliquer pourquoi? Par contre, on peut miser gros sur le fait que la Santé et l'Éducation russes vont s'ajouter d'ici peu à la liste des ministères dépouillés cités ci-dessus.
Des chiffres. Pour une population de 66 millions d'habitants, la France compte 34000 morts du coronavirus, la Russie compte 23000 morts pour une population de 146 millions d'habitants. La Russie "poutinienne" et sa population "débilisée" n'ont pas si mal géré la pandémie, vous ne trouvez pas?
SupprimerA titre indicatif, la France a dépouillée son armée ça fait déjà un bail.