Billet de retour perturbé par l'affaire Nemtsov

Après une si longue interruption pour des raisons - louables - mais indépendantes de ma volonté, j'envisageais différemment le retour de Russie Pollitics dans la blogoshère. Après trois semaines intensives de télévision française, sorte de thérapie de choc, j'avais envie de m'interroger avec vous sur le sens du glissement dictatoriale qui m'a quelque peu effrayé ces derniers jours. Parler d'influence sur un homme politique vous met au ban de la bonne société, lorsque vous osez, comme Roland Dumas, affirme que la religion de sa femme influence  la politique et le discours du Premier ministre. Non, silence, vous êtes antisémite. Et si la femme avait été catholique ou hindouiste, comment le crime eût été qualifié? Lorsque des artistes osent dire aux jeunes de se bouger et de ne pas tomber dans la politique de l'attentisme et de l'assistanat, quelle honte ces réacs. Ces réacs avant ô combien fréquentables ont franchi la ligne rouge en disant aux hommes et aux femmes de moins de 20 ans de se comporter comme des hommes et commes des femmes, c'est-à-dire de faire leur choix, d'en assumer les conséquences, bref d'être indépendant.

Or l'indépendance est manifestement devenue un délit, elle a été déposée sur l'autel d'un républicanisme radical, sectaire et destructurant, au cri de l'esprit du 11 janvier. Tout le monde doit marcher au pas de l'oie, dont le rythme est donné par un apprenti dictateur au timbre de voix martelant ses propres évidences creuses, espèrant en faire un dogme, j' en appelle à notre très respecté Premier Ministre, cet homme providentiel qui a tant besoin du pouvoir et si peu des gens.

Mais tout cela finalement, n'est malheureusement qu'une conséquence. De la perte d'indépendance nationale. De la perte d'une Europe européenne. Qui ne peut et ne doit avoir de politique.

Je voulais parler de tout cela beaucoup plus longuement, car il y  a beaucoup de choses à dire. Et puis Nemsov a été tué. Je ne le porte pas particulièrement dans mon coeur, mais sa mort fut quand même un choc. Comme quand tout être humain tombe un jour en pleine rue. Sa mort n'aura pas d'incidence particulière sur la politique intérieure de mon pays, la France. C'est en tout cas ce que je pensais, avant de lire la presse française, qui y voit évidemment la main du Kremlin qui se débarrasse d'un opposant à ce point effrayant et dangereux. C'est tellement stupide, que je m'attend maintenant au pire. Ces bonnes vieilles sanctions financières et bancaires que les Etats Unis veulent à tout prix faire adopter par l'UE. 

Et son ami Gozman, libéral de premières heures, annonce, certes depuis Washington - ce n'est pas de sa faute il s'y trouve lui aussi souvent - qu'il s'agit d'un évènement qui doit entraîner un réel changement à l'intérieur du pays. Mais non, j'espère que cela n'est qu'un cauchemar. Pour autant cette mort est particulièrement suspecte.

En sortant d'un restaurant dans le centre de Moscou, B. Nemtsov, accompagné d'une jeune femme, mannequin ukrainien, se promènent dans les rues sous la pluie et semblent se diriger vers l'appartement du politicien. A côté du Kremlin, sur le grand pont qui traverse la Moskova, 6 balles sont tirées, 4 touchent mortellement B . Nemtsov, Son "amie" est indemne. La police arrive sur les lieux assez rapidement.

Voici la vidéo des évènements, les commentaires sont en russe:

Depuis les faits, plusieurs versions sont envisagées: politiques, personnelle, économique.

Parmi les versions politiques, on en compe 4: 

• Poutine est coupable, l'explication qui a la faveur des chancelleries et médias occidentaux; 
• c'est un coup des services secrets étrangers, comme l'affirme Kadyrov; 
• les oligarques ukrainiens n'ont pas eu leur retour sur investissement, alors que Nemtsov a beaucoup développé ses contacts avec eux ces derniers temps; 
• suite au mouvement de consolidation nationale, l'opposition libérale non systémique est réduite à peau de chagrin, une victime charismatique dont la perte ne désorganisera pas l'opposition tombe parfaitement avant leur marche du printemps qui ne soulevait pas les foules.

L'on peut évidemment sourire aux mots de Kadyrov, malheureusement, l'évolution de la situation en Ukraine et la manière dont les services spéciaux américains ont mis le feu aux poudres obligent à réfléchir à deux fois avant d'y voir un mauvais film d'anticipation. 

L'imputation au Kremlin, voire à Poutine lui-même, même s'il s'agit de l'approche préférée en Occident, semble suspecte. Le faire devant les murs  du Kremlin, juste avant la marche du 1er mars dont tout le monde se foutait comme de ses premiers pampers, au moment de l'unité nationale est un non sens. En plus prendre tant de risques politiques pour une personne qui appartient à l'époque Eltsine, où il s'est largement sali les mains, et fait aujourd'hui figure de play boy bronzé d'une opposition Bobo, est une erreur qui ne ressemble pas beaucoup au doigté avec lequel le pouvoir conduit les affaires. Remarquez, c'est vrai, j'oubliais, l'autisme .... L'on peut alors souligner une certaine persévérance, envers et contre tout, de la ligne éditoriale des médias occidentaux.

S'il est trop tôt pour préciser de quelle version il s'agit, le fait que le coup ait été préparé et l'attentat commandité est un fait acquis.

Sur le plan personnel, la jeune personne qui accompagnait B. Nemtsov, est un mannequin ukrainien, qui s'est faite avorté il n'y a pas longtemps en Suisse, dont la vie n'est pas très claire. Il pourrait donc également y avoir une piste du côté de ses anciennes fréquentations.

Une explication du type économique, voire mafieux, n'est pas non plus écartée. B. Nemtsov est loin d'être dans le besoin et a engagé, lorsqu'il exerçait des fonctions politiques, des personnes peu recommandables, dont certaines furent incarcérées et l'accusaient. Ses activités sous Eltsine lui permirent en effet de s'enrichir assez rapidement lors d'opérations lucratives douteuses. Il prêtait également, ces dernières années, de l'argent, qu'il avait du mal à récupérer. Ce fut le cas d'un conflit avec un partenaire en 2008-2009 à hauteur de 700 000 dollars. En 2013, il déclarait la possession de 3 appartements en propre, un avec sa fille, avoir un revenu de 18 millions de roubles grâce à sa participation dans des dizaines de banques ou autre entreprises lucratives.

Autrement dit, les motivations peuvent être de deux ordre: la vengeance ou la provocation politique. Les suites de l'enquête, et la suite des évènements intérieurs, permettront de le déterminer.

D'une manière générale, en conclusion, j'aimerais souligner deux aspects de cette affaire.

La question de la division de la société. L'on en revient toujours au risque de division de la société russe. Mais elle est déjà divisée, elle l'est naturellement, comme toute société complexe et démocratique. Ce qui est sain et normal. Le problème qui existait depuis les années 90 et qui s'est cristallisé depuis le retour de la Crimée en Russie est celui du positionnement de la ligne de division. Il ne s'agit pas d'une ligne permettant l'émergeance de plusieurs solutions pour arriver à un même but politique, le renforcement de l'Etat russe, de la Nation russe et de la Russie en général. Sous couvert de "pro-européanisme" primaire, l'on veut cacher et rendre acceptable une position qui tend à la vassalisation du pays à des intérêts extérieurs, ce qui fut déjà le cas, dans les années 90. Donc il ne s'agit plus d'un débat politique intérieur permettant de faire émerger différentes voies acceptables, qui peuvent se succéder, mais ces voies sont des alternatives incompatibles. La majorité et l'opposition ne divergent pas sur les moyens, leur divergence est fondamentale, elle concerne le but. Ce qui est irréductible. Soit la Russie est russe et reste européenne et souveraine, soit elle est vassalisée et divisée. Cette réallité politique fausse alors le débat sur le rôle et la place de l'opposition en Russie, car la notion d'opposition elle-même est dévoyée. Ce qui est particulièrement dangereux pour la qualité du débat politique intérieure et affaiblie le pouvoir, notamment au niveau de son capital intellectuel.

L'autre enjeu est celui d'un Maîdan russe. Cet aspect du problème est directement lié au premier. Pour qu'un Maîdan soit possible, il faut que la société soit suffisamment affaiblie pour être manipulée et jouer contre ses propres intérêts. Donc chaque chose a dû intervenir en son temps. Or, le clan des libéraux, intégrés ou non systémiques, est en perte de vitesse depuis la crise ukrainienne. Même la crise économique ne permet pas de remonter leur cote de popularité et Koudrine n'arrive toujours pas à déloger Medvedev, voire Poutine, pour enfin devenir le Grand Vizir démocratique d'une Russie libérale et libérée. Il faut dire que la population les a déjà vu à l'oeuvre, notamment Nemtsov, dans les années 90 et elle n'a pas envie de répéter les mêmes erreurs. Dans ce contexte, la mort de Nemtsov permet de créer une figure de référence à peu de coût. Il n'apportait rien à l'opposition, sa popularité ne lui aurait jamais permis d'accéder à des postes de premier plan et il n'envisageait rien de moins. Donc il gênait en apportant peu, surtout avec son passé eltsinien peu reluisant. Bref, c'est un coût gagnant, il est quand même plus utile mort que vif.

Et malgré tant d'efforts, si les organisateurs affirment 50 000 manifestants, la police annonce moins de 10 000 particpants à la grande marche d'aujourd'hui à Moscou. Quant à St Pétersbourg, l'on a vu fleurir des drapeau ukrainiens. Etrange, non.

Réfléchissons à cette image.

Evidemment, à côté d'un drapeau ukrainien, l'on retrouve un drapeau de l'UE, logique:

Bonne journée mes amis, nous sommes de retour.