Mathilda: qui est "l'Etat chrétien"?

"Brûler pour Mathilda"

Ce film Mathilda, réalisé par Outchitel sur les amours du jeune Nicolas II avec la danseuse Mathilda, dont nous avons déjà parlé ici, ne cesse de provoquer des sensations - plutôt négatives. Ce qui retiendra surtout notre attention est l'arrivée médiatique d'un groupe appelé "Etat chrétien, la Russie sacrée", rappelant étrangement l'appellation Etat islamique.

Avant même la sortie du film Mathilda, alors que la député Poklonskaya continue son attaque juridique et médiatique contre ce film, des incidents se produisent. Fin août, des coktails molotov ont été lancés à St Pétersbourg sur le studio Serebrennikov, là où était tourné l'étrange adapation de l'histoire du groupe charismatique de rock de Tsoï, le 11 septembre, à côté du bureau de l'avocat, Dobrynin, du réalisateur Outchitel, deux voitures sont brûlées. Les réactions face à ces réalisateurs très discutés et pourtant bien vus se radicalisent dangereusement.

Dobrynin lui-même publie les photos sur sa page Facebook, avec ce commentaire: "Alors que Poklonskaya continue à parler à tous des recours  de la famille du saint Tsar et tente de faire interdire le film, ses partisans continuent à lancer des coktails molotov et à brûler". A côté des deux voitures brûlées, des petits papiers "Brûler pour Mathilda" ont été éparpillés. 

A ce moment-là, le feu a été mis à un cinéma à Ekaterinbourg dans l'Oural, qui projetait de montrer Mathilda lors de sa sortie nationale le 26 octobre. Un habitant de la région a été interpellé, sa motivation est religieuse. Avant cela, un groupe "Etat chrétien" a informé les cinémas que s'ils décident de mettre Mathilda à l'affiche, leur salles vont brûler.

Trois jours avant l'interpellation du leader du groupe "Etat chrétien", Alexandre Kalinine, la député Poklonskaya s'est adressée à la police et à la Procuratura pour qu'ils enquêtent sur l'activité de ce groupe. Ce qui lui a valu d'être sur la liste noire des "véritables chrétiens", pour avoir soi-disant trahi la foi, en toute cas celle professée par "l'Etat chrétien", dont l'appellation fait étrangement échos à l'Etat islamique. Cela alors que l'Eglise orthodoxe condamne ces actes de violence.

Même si ces actes sont très localisés et la structure est marginale, l'impact sur la société est important. Il permet de discréditer la communauté des croyants, être croyant étant vraiment un regrettable anachronisme à notre époque, Dieu n'a même pas de compte Facebook. Comment peut-on être croyant? La tolérance de l'époque ne va pas jusque-là et la haine méprisante qui suinte des commentaires est éclairante. Une certaine Tatiana, sur la page FB de Dobrynin : "et que peut-on encore attendre d'une population sans cervelle?", n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres. Il y aurait donc la bonne société éclairée européenne et atésite, dans la tradition bolchévique, et le reste, peu fréquentables.

Ainsi, le premier résultat de ce film, qui n'a pas encore eu de séances publiques, est de préparer les bases pour une rupture sociale. Tel n'était peut être pas le but, tel est le résultat. Et le film a beau avoir été montré en séance privée aux députés de la Douma, ils ont beau affirmer qu'il n'y a rien de grave "à leur avis". Le mal est fait.

La député Poklonskaya semble en faire une affaire personnelle. Un recours est déposé en justice, il y aurait un crime économique en plus de l'atteinte portée à la mémoire de l'Empereur et aux croyants. Un scénario modifié, des financements non profilés ... Outchitel de toute manière part ... en Israel.

Comment dire si ce film a mérité un tel acharnement. Le voir n'y change rien, c'est une question de principe. Mécanisme qu'il faut remettre dans son contexte. D'une manière plus générale, une véritable attaque des valeurs traditionnelles est à l'oeuvre, cherchant à les discréditer, la foi orthodoxe en première ligne puisqu'elle est au fondement de la société russe et que la Russie fait partie de ce monde globalisé. Cet étrange "Etat chrétien" tombe ici à pic, il est difficile de trouver plus caricatural et la bonne société "libérale" peut ainsi assimiler une poignée de fanatiques, pas tous naïfs, avec une majorité de paisibles croyants qui ont aussi le droit de ne pas partager les "nouvelles valeurs", puisqu'ils ne mettent le feu à rien et qu'ils sont aussi dans leur pays.

D'une certaine manière, le combat de Poklonskaya ressemble à une croisade. A beaucoup d'égard maladroite, mais comme une réaction instinctive face à ce qui remet en cause les valeurs historiques russes. Et le fait de contester cet allant de soi de l'évolution "tolérante" de la société passe mal, est qualifié de rétrograde. il n'est de pire insulte.

En plus de la question de l'activité de Poklonskaya, se pose aussi celle de la politique de financement du ministère de la culture, qui finalement a parfois des choix étonnants. On se rappellera de la plaque en l'honneur de Mannerhiem, à Saint Pétersourg, alors qu'il a participé au blocus de la ville avec les nazis. Chaque élément en soi n'es tpas grave, rien n'est jamais vraiment grave finalement, mais est-ce nécessaire?

PS: Les discussions autour de la thèse du ministre de la culture Medinsky reprennent de plus belles. Si le Conseil scientifique de la Haute commission d'attestation (organe indépendant vérifiant la qualité et la conformité des thèses - plagiat, niveau scientifique, etc) n'a pas retenu le plagiat, 17 des 21 membres demandent à ce que le ministre de la culture soit privé de son titre scientifique de Docteur es sciences historiques en raison de la faiblesse scientifique de la thèse.