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jeudi 7 mai 2020

La censure de Mikhalkov et le retour de la fascination pour l'Occident en Russie



Le retrait de l'émission Bessogon du réalisateur Nikita Mikhalkov de la chaîne fédérale Rossia 24 révèle la violence du combat idéologique qui se mène aujourd'hui en Russie et des risques réels pour l'avenir du pays, en tout cas pour l'existence du territoire et de la population dans ces frontières et sous la forme d'un Etat. La presse libérale avec les soi-disant "patriotes" ont été lancés dans une attaque tout feu tout flamme contre Mikhalkov, finalement en défense de Bill Gates, ce qui pousse certains observateurs dans des médias traditionnellement pro-pouvoir à se demander si l'on n'assiste pas à l'occasion de la crise globale du coronavirus à une tentative de révolution de palais glissante. 


L'ambiance médiatique s'est très fortement dégradée en Russie ces dernières semaines. Un virage pro-Covid a été pris, le discours est formaté et aucune interrogation n'est plus possible. Les chaînes du service public, notamment celles du groupe VGTRK (Rossia), propagent un discours et des images que l'on pourrait voir sur CNN, qu'il s'agisse de la démonisation primaire de Trump ou de la présentation de la situation intérieure russe, flirtant avec la fin du monde, qui n'a rien à voir avec ce que l'on voit dans la rue. L'on sent une hystérie médiatique s'emparer de l'espace d'information, cherchant à écraser toute résistance face au culte du coronavirus, toute possibilité de réfléchir aux mesures liberticides à l'efficacité douteuse qui sont adoptées sans aucun lien avec le danger réellement présenté par cet énième virus. Surtout avec le maintient des shows télévisés avec stars dansantes, ou experts tout-risque, n'ayant besoin ni des masques ni des distances de sécurité (pas pratique pour danser), protéger par leur mission de matraquage idéologique.

Deux remarques intermédiaires. 1) Lorsque la Russie joue selon les règles occidentales, elle perd (cf. février 1917 et la fin des années 1980); 2) En intégrant le discours CNN, la Russie creuse un fossé entre les élites gouvernantes globalistes et une population plus conservatrice, ce qui fragilise le pouvoir ne reposant que sur l'approbation de la population (à la différence de la France, la Russie n'est pas directement sous gouvernance européenne, donc extérieure) - sans légitimité intérieure, elle s'écroule.

La crise du Covid a cristallisé le combat entre les groupes antagonistes russes, étatistes / globalistes, les slavophiles / occidentalistes d'hier. Et l'émission Bessogon "Qui a l'Etat dans la poche?" du réalisateur Nikita Mikhalkov a fait tomber les masques des "patriotes" de poche, en touchant manifestement au "sacré" de cette époque - les intérêts globalistes.


En fait, Mikhlakov ne dit rien que nous ne sachions déjà, mais il réalise une synthèse parfaite. Il rappelle la dégradation vertigineuse du système d'enseignement secondaire et universitaire, cette dégradation volontaire selon les recommandations internationales, dont Herman Gref (à la tête de la Sberbank et grand promoteur de l'enseignement à distance et de l'Etat numérique) dit clairement qu'une population trop éduquée est impossible à diriger, car elle est difficilement manipulable. Et que l'on ne peut gouverner sans manipuler. Donc, il faut développer l'enseignement à distance, avec les trajectoires personnelles, etc, bref détériorer le système d'enseignement. Ainsi, les Russes peuvent savoir lire et écrire (c'était d'ailleurs le programme nazi pour eux - ce que rappelle Mikhalkov). Ils pourront acheter et vendre, produire ce qui sera conçu ailleurs. Car n'oublions pas que le monde global est un monde de zones, l'excellence de l'enseignement ne peut qu'être dans le Centre politique (production de cerveaux), qui n'est certainement pas prévue pour être en Russie.  Il est certes difficilement imaginable qu'une zone puisse produire de l'excellence, quand le niveau général a chuté, mais c'est le fantasme en cours. L'autre point fort de l'émission est la question des vaccins, qui n'a rien à voir avec les vaccins traditionnels que l'on connaît depuis l'enfance. L'idée, par ailleurs brevetée par Bill Gates, est de placer une puce électronique sous la peau, qui recueille toutes les données physiologiques, connectée à un compte de cryptomonnaie. Ainsi, si vous faites ce que l'on vous dit, si vous produisez de l'énergie avec votre corps, vous pourrez être rétribués. Rien n'empêche alors de diviser la société entre ceux qui sont pucés (ayant accès à une vie presque normale) et ceux qui ne le sont pas (dont l'espace de vie est réduit - pour raison de sécurité sanitaire, bref pour leur bien et le vôtre). C'est déjà le discours qui se construit même sans vaccin, à l'égard des personnes âgées et fragiles, discours qui sera alors familier et accepté.

Certains disent que cela ressort de la fantasmagorie. Peut-être. C'est surtout du fanatisme, mais un fanatisme breveté. Si vous avez un doute, souvenez-vous de l'idée du passeport de santé pour que certains puissent circuler sous l'ère du coronavirus, des déclarations dans nombre de pays (notamment en Russie et en France) du confinement obligatoire et de l'attente du vaccin. Donc il y a objectivement de quoi se poser la question. L'on notera en passant que s'il ne s'agit pas de la première vision totalitaire, c'est la première fois qu'elle ne porte aucune idée, elle est purement axée sur le profit : la dernière chose qui ne générait aucune transaction était votre corps, votre vie privée; désormais les discussions sur le canapé, un film à la télé, une promenade en forêt, dans cette conception, vont produire une énergie transmise par votre corps, qui sera monétarisée. Il s'agit de la création d'un troupeau global, dont la tonte se ferait automatiquement. Ce n'est pas parce qu'une idée est folle, comme celle-ci, qu'elle ne peut être émise.

L'émission, après avoir été diffusée vendredi dernier, a été retirée, c'est-à-dire qu'au lieu des rediffusions prévues le week-end, elle a été montrée une fois le 1er à 23h (quand les gens étaient occupés à autre chose) et à 3h du matin quand ils dormaient. Nikita Mikhalkov a parfaitement formulé le problème : il ne peut y avoir de personnes intouchables, sinon le système s'écroule. Quand il y a un choix à faire entre la guerre et la honte, si  l'on choisit la honte, on obtient et la guerre et la honte, c'est bien connu. Cette émission est une des rares (pas uniquement sur cette chaîne) qui se propose de calmement poser les questions, pour que les gens se fassent leur opinion. Maintenant, il n'est pas évident qu'elle se poursuive.


Un article intéressant est sorti sur un site pourtant favorable au pouvoir, "Zavtra", intitulé "Censure, "intouchables" et révolution de palais". Nous avons souvent remarqué avec surprise l'augmentation rapide du capital politique du maire de Moscou, Sergueï Sobianine, ce qui a valu quelques critiques, mais également des menaces sur ce blog. Il semblerait, effectivement, que maintenant, il soit, avec Gref et Bill Gates, devenu "intouchable", comme à l'époque l'on ne pouvait porter atteinte au corps du Roi.

Cet article cite des sources expliquant cet étrange retrait de l'émission par une guerre intestine au sein de l'Administration présidentielle, un clan au Kremlin ayant fait le pari de Sobianine, et donc de ceux qui vont avec lui, notamment Gref et la "Famille" (les milieux Eltsine, toujours très puissants). Or, Mikhalkov est une figure des milieux conservateurs, proche du ministre de la Défense, du Président. Ces milieux se livrent une guerre, dont la gestion du coronavirus est devenue la bataille centrale - et symbolique. A tel point que certains y voient une tentative de révolution de palais glissante, justement à cette occasion. Pour les soutenir, les libéraux et les pseudo-patriotes ont été lancés contre Mikhalkov dans une véritable opération de lynchage, aussi primaire que virulente, que ce soit dans les médias ou dans les réseaux sociaux. Tous en choeur, au nom d'une étrange conception du patriotisme, se sont mis à défendre Bill Gates, finalement.

Comme cela est écrit dans l'article de "Zavtra", il est fort possible "qu'en haut", les choses soient remises à leur place, ce n'est pas la première fois que ça arrive. "Dans le cas contraire, il y aura des problèmes". 

A chaque fois que les élites russes ont cédé à la fascination de l'Occident, elles ont entraîné le pays dans leur chute. Espérons que pour une fois, les leçons de l'histoire serviront à quelque chose.




9 commentaires:

  1. " L'on notera en passant que s'il ne s'agit pas de la première vision totalitaire, c'est la première fois qu'elle ne porte aucune idée, elle est purement axée sur le profit : la dernière chose qui ne générait aucune transaction était votre corps, votre vie privée; désormais les discussions sur le canapé, un film à la télé, une promenade en forêt, dans cette conception, vont produire une énergie transmise par votre corps, qui sera monétarisée. Il s'agit de la création d'un troupeau global, dont la tonte se ferait automatiquement. Ce n'est pas parce qu'une idée est folle, comme celle-ci, qu'elle ne peut être émise."

    C'est exactement cela!

    Mais prenez bien soin de vous, Karine Bechet-Golovko. Non pas principalement par rapport au virus, mais par rapport à d'autres virusses, apparemment beaucoup plus virulents.

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  2. L'émission de Mikhalkov ne passerait sur aucune chaîne en France. A la moindre critique du "bienfaiteur de l'humanité", M. Bill Gates, on se fait traiter de complotiste, et l'affaire est close. Cet homme avec sa fortune colossale et toute l'industrie pharmaceutique mondiale à ses pieds est d'une dangerosité incroyable. Bravo à Mikhalkov mais qu'attend Poutine pour siffler la fin de la récréation?

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  3. Depuis un certain temps j'ai l'impression de détecter des signes de plus en plus nets de la décadence du monde occidental, tous basés sur la diminution constante de l'efficacité. Par ordre d'apparition (pour moi):
    - La fin de l'extraction des élements de valeur dans les classes populaires. C'est le problème de la dégradation de l'enseignement. Les "élites" se renouvellent de plus en plus entre elles. Vous m'indiquez que c'est en cours aussi en Russie. Emmanuel Todd y voit un signe encourageant : les "élites" sont de plus en plus débiles, et les classes populaires de plus en plus intelligentes.
    - Le système financier ne permet plus de détecter et de favoriser les entreprises performantes. Les "marchés" sont de plus en plus exclusivement portés par les actions des banques centrales, et plus par des analyses de la valeur des entreprises cotées. On voit fleurir des expressions du type : "il n'y a plus de marché". Là aussi de moins en moins de sélection des meilleurs.
    - Une importance de plus en plus envahissante des "managers". Par exemple j'avais vu un étude (après la crise de 2008) sur les universités américaines et leurs budgets. Les académiques (les enseignants et chercheurs) représentent une part de moins en moins importante des budgets. Là encore, perte d'efficacité réelle.
    - Enfin, ce que révèle la crise actuelle du coronavirus : une "science" de plus en plus bureaucratique, incapable de sélectionner ce qui marche vraiment. Je pense que la comparaison des résultats des pays pauvres (ou asiatiques) et des pays riches en terme de mortalité sera dévastatrice (pour les pays riches). On assiste au début de la perte de la supériorité scientifique de l'occident.

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  4. Chère Madame, vous vivez en Russie, donc vous êtes plus à même que les personnes extérieures à sentir les pulsions qui agitent les forces en présence.
    Il faudrait que je réécoute l'émission de Mikhalkoff dont vous parlez ici pour me faire une opinion plus juste à son sujet.
    Pour ma part, tout en admirant le talent et le patriotisme de Mikhalkov, je le vois comme un patriote soviétique, c'est à dire un nostalgique de l'URSS et du petit Père des peuples.
    Et c'est là toute la question actuelle :
    Peut-on être patriote et aimer la Russie sans aimer le stalinisme et sans vouloir à tout prix se soumettre à l'Occident ?

    Pour illustrer mon propos, je dirai avoir lu que Denys Pouchiline a décidé que Donetz serait appelé Stalino durant les journées de commémorations de la Victoire !!!

    Il me semble que c'est ce que Poutine, qui a plus d'une fois émis des réserves sur les actions passées des communistes, et avec lui l'Eglise Orthodoxe, aimeraient voir se profiler en Russie :
    Un Etat souverain, débarrassé des miasmes de Lénine et Staline ...
    Très amicalement Marie

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    1. Chère Madame, juste quelques remarques. En ce qui concerne Pouchiline, c'est un petit escroc reconverti, qui se tourne dans le sens du vent et le vent lui montre que les gens sont fatigués des pseudo patriotes-manageurs. En ce qui concerne Mikhalkov, il a été censuré non pas pour avoir parlé de Staline, mais de Bill Gates. Et si je comprends bien, lorsque des gens tiennent un discours qui ne correspond pas à l'ère du temps, il est possible de les censurer ? Soit, ce n'est pas ma position. Quant à l'URSS, ce fut un grand pays , avec des réussites qui font encore pâlir les dirigeants actuels (industrialisation, cosmos, enseignement, recherche scientifique ...), c'est très exactement ce qui manque aux gens aujourd'hui, c'est exactement ce qui dérange les manageurs au pouvoir, surtout en voyant leurs résultats.

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    2. La Russie ne peut être gouvernée qu'avec un Etat fort . C'est ce qu'a réussi à faire Poutine . Mais comme à chaque fois , un Etat autoritaire se heurte au mur de la durée . Et là , la seule institution stable , à l'échelle des siècles et non de quelques décennies , c'est la monarchie (ce qui n'a rien à voir avec la dictature) . Il vous faut trouver un candidat valable pour incarner le nouveau tsar. On plaisante avec le jeu de mots , le tsarpoutine ... Mais Poutine ne pourrait pas fonder une nouvelle dynastie , d'abord parce qu'il est , hélas , en fin de course , ensuite parce qu'il n'a que des filles ,
      , et qui , quand bien même on leur octroierait l'accession au pouvoir (il y a bien eu Catherine II ), elles n'ont pas été préparées . Outre le fait qu'être divorcé (ou séparé?) , ça la fout mal . Même s'il paraît être un véritable chrétien orthodoxe , soutenu spirituellement , au moins , par le monastère où il se rend régulièrement à la frontière de l'Estonie. Paraît-il .

      Nicodème

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  5. Bravo Karine pour votre réponse

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  6. Est-ce que la destruction de l’éducation notée par Peter Thiel il y a 2 décennies à Stanford dans son livre Diversity Myth opère aussi en Russie ? Où est-ce que les manifestations sociétales anti Poutine en Russie sont des trucs purement occidentaux destinés en fait à la presse occidentale ?celle qui titre « Navalny premier opposant à Poutine ».

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  7. « Révolution de palais glissante ». Je sais pas ce que ça veut dire. Est-ce une référence à un évènement historique ?

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