New-York : L'Eglise orthodoxe russe au bord d'un nouveau schisme sur fond de conflit en Ukraine

A la différence de l'Eglise catholique très centralisée, l'Eglise orthodoxe est particulièrement décentralisée et son histoire très mouvementée, notamment en raison des ruptures idéologiques en Russie. Avec la chute de la Russie impériale, un schisme important a eu lieu et l'émigration blanche a institué son Eglise russe orthodoxe de l'étranger. Il y a 15 ans de cela seulement, l'unité de l'Eglise russe a été restaurée. Aujourd'hui, sur fond d'élection du nouveau Premier Hiérarque de l'Eglise orthodoxe de l'étranger à New-York, un nouveau risque de rupture avec le Patriarcat de Moscou apparaît, sur fond de guerre en Ukraine. Cette élection du 13 septembre, au-delà de la dimension religieuse, a une dimension politique indéniable : conduire sur le modèle ukrainien de l'atomisation de l'Eglise russe orthodoxe et à l'atomisation des communautés russes à l'étranger, leur faire perdre le lien avec leur patrie, les isoler et faire perdre à la Russie un instrument de soft power, Ô combien important aujourd'hui. Un nouveau front est ouvert sur le Monde russe.

L'Eglise orthodoxe russe de l'étranger est composée de huit diocèses : le diocèse Est-américain et de New-York, le diocèse de Chicago et d'Amérique centrale, le diocèse de San Francisco et d'Amérique de l'Ouest, le diocèse de Montréal et du Canada, le diocèse d'Australie et de Nouvelle-Zélande, le diocèse d'Amérique du Sud, le diocèse de Londres et d'Europe de l'Ouest et le diocèse de Berlin et d'Allemagne. A la tête se cette Eglise, se trouve le Premier Hiérarque, qui doit être élu suite au décès le 16 mai dernier du Métropolite Ilyaron et qui sera le 7e en un siècle.

L'enjeu, aujourd'hui, est de taille, car en situation de guerre globale dans laquelle nous nous trouvons, dont l'issue doit déterminer la nouvelle configuration des rapports de force pour une nouvelle période, tout instrument de potentielle influence de la Russie à l'étranger, et surtout sur le "territoire de l'ennemi", fait l'objet d'une attaque en règle. L'Eglise orthodoxe russe de l'étranger est l'un de ces instruments, car elle permet aux Russes émigrés de garder un lien spirituel et civilisationnel avec la Russie et de la faire vivre où ils se trouvent. C'est ce lien qui doit être rompu lors des prochaines élections de mardi au Synode de New-York.

Suite au décès du Métropolite Ilyaron, deux clans s'opposent en vue des prochaines élections : l'un, mené par l'un des plus anciens hiérarques, le Métropolite de Berlin et d'Allemagne, Mark (Arndt) qui s'est vu confié  par interim la présidence des réunions du Synode et qui s'oppose à l'intervention militaire qu'il qualifie de criminelle, tout en soutenant l'entrée de l'Ukraine dans l'UE - ce qui manifestement dépasse de loin les prérogatives de son rang ; l'autre, l'archevêque de Montréal et du Canada, Gabriel (Tchemodakov), président de la commission ecclésiastique de préparation des élections, soutient le Patriarche et la Russie, rappelant que celle-ci a été obligée de défendre les habitants Russes du Donbass contre une agression longue et continue de Kiev, ce qui n'aurait provoqué selon lui aucune réaction si les Etats-Unis s'étaient comporté de cette manière. Il appelle les peuple ukrainien et russe à rester des peuples frères au-delà des discension politiques, ce qui lui vaut évidemment une campagne médiatique à charge. Celui parle de l'union des peuples est accusé de soutenir la guerre, dans le but de lui faire perdre les élections.

Dans ce contexte, une étrange lettre circule et aurait été envoyée au Métropolite Mark, lui demandant de suivre l'exemple de l'Eglise orthodoxe ukrainienne, qui a rompu avec le Patriarcat de Moscou. Les auteurs de cette lettre, que nous avons lue, ont introduit leur requête ... en schisme, de cette manière :

"Nous, clercs et laïcs priant dans les églises de l'Église à l'étranger, tant en Europe qu'au Canada, aux États-Unis et en Australie, nous nous tournons vers vous, poussés par le souci de notre Église, dans les jours d'épreuves difficiles et amères, qui sont associées avec l'agression de la Russie contre l'Ukraine."

Les auteurs demandent que le lien entre l'Eglise de l'étranger et le Patriarcat de Moscou soit révisé, car selon eux le droit du Patriarche de confirmer l'élection du Premier Hiérarque est "dangereux". L'union est une force et effectivement, elle peut présenter un danger à ceux qui luttent contre le Monde russe. Ils appellent donc logiquement à suivre l'exemple ukrainien, qui a permis par la force d'atomiser l'Eglise orthodoxe ukrainienne et de contribuer au processus de distanciation de cette nation historique.

La communauté russe est non seulement très croyante, mais aussi pratiquante. Rompre le lien entre l'Eglise et la Patrie, comme cela a déjà été le cas suite à la Révolution d'Octobre et à l'émigration massive des Russes blancs, est un acte politique, qui s'inscrit parfaitement dans la suite logique de la séparation des peuples frères ukrainien et russe. Briser le Monde russe, dont l'orthodoxie fait partie, dont elle est l'âme, afin de l'affaiblir. Car la Russie dérange en ce qu'elle est porteuse de ce Monde russe, de cette civilisation. C'est son coeur qui doit être attaqué mardi à New-York.